vendredi 23 octobre 2015

À portée de main…


À portée de main, oui, mais quoi ?
L’Univers, tout simplement !

Je termine, après tout juste trois petites semaines de lecture, ce passionnant récit, ces « expériences de pensée » comme les appelle le brillant et jeune auteur, Christophe Galfard. Et, prouesse supplémentaire, en tout et pour tout, une seule équation, mais la plus connue, la plus universelle E=mc2.
Résumons et « déstygmatisons », ou mieux, dédramatisons ce vaste sujet, ces deux piliers de la science contemporaine que sont la cosmologie et la physique quantique. Mais déjà je vois des mains qui se lèvent, des regards qui partent vers le ciel ! Non, non, je puis vous l’assurer, même si vous n’avez qu’une vague connaissance de ces deux domaines, voire aucune notion, ce voyage « par la pensée » que nous propose l’auteur vous permettra, une fois parvenu à la toute dernière page de ce « livre de voyage », de prétendre avoir une vue plus claire et ô combien plus riche du monde qui nous entoure, de l’infiniment grand jusqu'à l’infiniment petit, jusqu'à des échelles que vous ne vous soupçonnez même pas.
Oui, j’ose le dire, le texte est d’un abord facile, l’accès à ce voyage aisé, surtout accompagné d’une main de maître, à la façon de ces vieux professeurs de notre enfance qui s’assuraient de notre parfaite compréhension avant de passer au chapitre suivant.
                                                         
Avant, vous ignoriez tout du cosmos, jusqu'à ses marches les plus lointaines, et tout autant des briques élémentaires de la matière, celles dont nous sommes constitués. Après, c’est presque avec le sourire, et probablement une certaine émotion, que vous regarderez le ciel nocturne (suffisamment loin de nos villes saturées de lumière), tout comme vous prendrez votre tasse de café en vous demandant pourquoi elle tient dans votre main, tout comme le café à l’intérieur (avant qu’il ne soit trop froid !).

Oui, partez, partez en toute confiance pour ce voyage inédit dont vous serez le passager privilégié !

(L'Univers à portée de main  Christophe Galfard  440 pages)




jeudi 17 septembre 2015

Tangerine Dreams


C’est un phénomène récurrent, curieux, quelque peu dérangeant, non sans charme.
À chaque retour de voyage lointain, surtout lorsque le pays découvert sort des sentiers battus – cette fois la Namibie –, toutes mes nuits, pendant plus d’une dizaine de jours, sont emplies de rêves étranges. Je me retrouve systématiquement plongé au sein des paysages, le plus souvent grandioses et fascinants, que j’ai quittés il y a peu. Et j’ai beau m’éveiller au milieu de la nuit, me lever même, dès que je replonge dans les draps, je suis à nouveau happé par ces panoramas gigantesques et défiant l’imagination.

Cette fois, ce sont les immenses dunes de Sossuvlei, au sud-ouest du pays, en plein milieu de l’imposant parc national du Namib Naukluft Park (le troisième d’Afrique, avec une superficie correspondant à près de dix pour cent de celle de notre pays !), qui ne cessent de m’assaillir. Il faut dire que le décor est unique et la palette de couleurs des plus surprenantes avec une dominante tangerine. C’est le plus ancien désert de la planète, son âge remontant à quatre-vingts millions d’années. Mais laissez-moi vous conter ma découverte de Sossusvlei et vous comprendrez sans doute pourquoi mes nuits en sont hantées.


La veille, j’avais eu la chance de pouvoir survoler, plus deux heures durant, dans un petit avion, une partie de cette vaste région située au sud de Swakopmund et de Walvis Bay. Je n’ignorais rien des teintes extraordinaires dont se parait le paysage, tant à l’intérieur des terres que sur la côte, là où les interminables dunes, blondes en cet endroit, viennent mourir au bord de l’océan, paradis pour les colonies d’otaries à fourrure ou encore les flamants roses qui profitent des rares lagunes.

Le réveil avait eu lieu avant l’aurore, le site ouvrant à sept heures, et les fameuses éminences se trouvaient à plus de soixante-cinq kilomètres du lodge fabuleux où j’avais passé la nuit. Le soleil se levait peu après six heures et ses premiers rayons avaient du mal à percer une brume qui stagnait au pied des massifs de granit aux formes bizarres. Les arbres desséchés tendaient leurs ramures noueuses vers le ciel et l'on pouvait parfois repérer quelques animaux sauvages, oryx, springboks notamment, broutant paisiblement alentour. Une fois la porte d’accès franchie, les premières dunes apparurent au bout d’une quinzaine de kilomètres, sur la gauche d’abord, puis des deux côtés. De véritables collines de sable de plus en plus élevées, tandis que les massifs rocheux avaient fini par disparaître complètement. La piste, goudronnée sur presque tout sa longueur de façon à éviter les nuages de poussière qui auraient pu masquer le paysage (nous n’étions pas les seuls sur cette route rectiligne !), se terminait à quelques kilomètres du site proprement dit. Au-delà, seuls de puissants 4x4 pouvaient s’aventurer car ce n’était plus que du sable.
À mi-chemin, surprise ! Une barrière de brume, nuage blanc, vaporeux mais opaque, flottait dans la vallée formée entre les deux murailles de sable ocre. Elle provenait, comme souvent chaque matin, de l’océan pourtant assez éloigné. Le courant froid du Benguela créait, à l’approche du désert, cette nuée humide, indispensable à la faune et à la rare flore. Je craignais cependant de la voir occulter les plus belles dunes, mais le guide me rassura. D'ici peu, elle s’évaporerait comme par magie. D'ailleurs, il n’était pas rare d’apercevoir, dépassant de lambeaux cotonneux horizontaux, les cimes altières et silencieuses.

Plus l’on se rapprochait du but, plus les dunes s’élevaient pour atteindre, voire dépasser les trois cent mètres d’altitude. Leurs lignes étaient pures, sobres, sublimes de beauté. L’orange tranchait sur un ciel de plus en plus bleu. C’était un émerveillement. J’avais eu le bonheur, par le passé, de découvrir celles du désert de Gobi. Mais, comme bien souvent lorsque nous contemplons les joyaux de la nature, aucun ne se ressemble. Il existe toujours une différence, même infime. Là, un panorama différent, ici une nuance propre, là encore un relief anormal ou inattendu. Le Gobi n’a pas les mêmes teintes de sable, l’approche est sensiblement différente, les cieux sont autres. Et il en est pareillement pour bien d’autres régions désertiques de notre Terre. Après une dernière portion de piste des plus chaotiques, où il eut été imprudent de s’arrêter car l’ensablement du véhicule aurait été fatal, celui-ci s’immobilisa sur un terre-plein calcaire ferme et solide. Face à moi, une des plus hautes dunes, la Big Daddy, dont la crête culmine à 325 mètres. Colossale, majestueuse, solennelle, il fallait une bonne dose d’audace pour oser l’affronter. Allais-je en être capable, moi qui avais tant souffert pour parvenir au sommet de la Khongorin Els en Mongolie, d’une hauteur à peu près équivalente ? La chaleur n’avait pas encore envahi le désert, quelques derniers lambeaux de brume cachaient parfois un soleil timide. Je me lançai.

La montée fut longue, haletante, épuisante parfois. À la différence de la dune mongole que j’avais attaquée de front, bien que par amples zigzag, mais qui m’avait éreintés au plus haut point jusqu'à douter de parvenir à en atteindre le sommet, celle-ci s’attaquait par la crête, étroite bande de sable de trente centimètres de largeur au maximum, avec des à-pics plutôt vertigineux de part et d’autre. Mais je restai confiant, suivant du regard ceux qui me précédaient de quelques dizaines de mètres. Pourtant quel effort que de mettre un pied devant l’autre, davantage lorsque celui-ci glissait sur cette matière instable, meuble, fuyante, reculant même. Là-bas, devant moi, mais loin encore, la cime me paraissait ne jamais se rapprocher. Des haltes de plus en plus fréquentes, un cœur qui battait la chamade, un léger et rafraîchissant zéphyr mais qui, au niveau du sol, soulevait le sable qui pénétrait dans mes brodequins, les alourdissant. Je me donnais, naïvement, des buts, des étapes, un creux dans la dune quelques mètres plus avant, une forme curieuse de la crête. Tout était prétexte pour me faire avancer car je voulais l’atteindre ce sommet. J’évitais même de lever trop haut le regard pour savourer pleinement la vue une fois le défi relevé.

Enfin, au prix d’un dernier effort, à bout de souffle, je me laissai choir. Assis presque confortablement sur ce tas de sable aux dimensions démesurées, je pus enfin jouir d’un spectacle unique. Tout autour de moi, sur 360°, une mer de dunes, des vagues de sable immobiles, à perte de vue, une houle figée. Toutes avaient cette teinte tangerine extraordinaire. En bas, de curieuses cuvettes au fond plat, toutes blanches, vestiges de lagunes anciennes qui parfois, mais si rarement lorsqu'il pleuvait, se remplissaient, avant que l’eau ne finisse par s’évaporer sous les ardents rayons du soleil. Muet, apaisé, calme, je savourais un bonheur indéfinissable. J’avais réussi. Je ne ressentais aucune fierté, juste cette joie intérieure, la même qui souvent me saisit, face à un décor de hautes montagnes,  à un cirque glaciaire, au milieu d’un champ de neige vierge et immaculé, partout où la nature est brute, entière, minérale.

Il me fallait à présent redescendre. Je m’étais déjà interrogé lors de l’ascension car je n’avais aperçu aucune trace de pas ni aucune silhouette sur les flancs du géant. Le guide m’indiqua la grande lagune asséchée en contrebas, vaste surface oblongue et éclatante de blancheur. Oui, mais, comment y parvenir ? Tout simplement,  me répondit-il, en se laissant descendre à pied, et en faisant de grandes enjambées. Et vous entendrez ainsi chanter la dune, ajouta-t-il ! Effectivement. Je me laissai happer par le vide, mais sans appréhension aucune, la gravité et le poids de mon corps m’attirant vers l’éblouissant joyau. En dévalant la pente, le sable que j’entraînais sous mes pas faisait un bruit curieux,  un ronronnement sourd, comme si la dune elle-même m’accompagnait, m’encourageait. Je compris alors qu’aucune trace de pas ne pouvait subsister, le sable en dégoulinant effaçait tout. En me retournant à mi pente, réalisant la taille impressionnante de cette masse pulvérulente, je fus subjugué par la taille minuscule des autres aventuriers qui me suivaient. La dune restait intacte, vierge, avalant, absorbant presque les petits humains que nous étions.

Arrivé au bord du vlei, ce lac immobile à la surface de calcaire et de gypse, il me restait encore pas loin d’un kilomètre pour atteindre l’autre rive. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises car surgirent peu à peu  de drôles de formes, sortes de squelettes ou de spectres noirs, plantés à même le sol. Jadis, il y a bien longtemps, une rivière coulait en cet endroit et avait formé des étangs, des marécages. Puis le vent avait soulevé les sables d’or, formant ces dunes prodigieuses. Le cours d’eau fut bloqué et dut emprunter un autre chemin. Les lacs s’asséchèrent, les arbres qui y avaient pris racine moururent, mais restèrent debout, leurs pieds et leurs racines immobilisés pour l’éternité dans cette gangue coagulée. On évalue leur âge à six siècles. Le spectacle que je découvris en me retournant dépassait l’entendement. Ces arbres noir anthracite aux branches dont certaines n’étaient plus que de tristes moignons, surgissant de cette surface figée, d’un blanc étincelant, avec comme fond de décor la dune orange dont la crête se détachait sur un ciel d’un bleu intense, formaient un ensemble quasi mystique.

Comment empêcher son esprit, la nuit, une fois rentré dans son pays, de ne pas repartir vers ces univers fantastiques et replonger dans les Tangerine Dreams… ?


(Ne pas hésiter à aller consulter, via un moteur de recherche, les sites de Sossusvlei et de Namib Naukluft Park)

samedi 29 août 2015

Prochain envol...

La sortie d'un nouveau livre est non seulement une étape majeure dans la vie d'un auteur mais également une période chargée d'intense exaltation. 
Il est cependant d'autres phases non moins grisantes, telles celle où l'on met une date et un lieu à la toute dernière page du récit ou encore celle de la réception du BAT (Bon à tirer), l'exemplaire adressé par l'imprimeur et pour lequel vous devez donner votre accord.
J'ai déjà vécu les deux premières, celle du BAT étant toute récente, et suis désormais dans l'attente fébrile des cinquante premiers exemplaires de ce nouveau récit retraçant mes aventures au Chili et à l'île de Pâques, mieux nommée Rapa Nui. 
Mais "Au pays des extrêmes  Chili  Rapa Nui" est déjà présent sur mon site www.calamasol.fr et l'émotion ressentie à la vision de tous ces ouvrages me laisse rêveur...

Recevrai-je ces livres tant chéris avant mon prochain envol ? Rien n'est moins sûr, celui-ci intervenant dans un peu moins de trois jours, et nous sommes en week-end.
Mais envol vers où cette fois... ?

Une fois de plus vers une destination aussi étrange qu'improbable, située en ligne droite à quelques huit mille kilomètres plein sud (pour sa capitale, Windhoek), la Namibie.
Pourquoi ce pays ? A cela, plusieurs raisons bien sûr.
Cette "envie" remonte à plusieurs années, suite d'abord à deux voyages effectués en Afrique du sud en tant qu'accompagnateur de groupes et qui m'avaient également permis d'aller jusqu'aux chutes Victoria au Zimbabwe. Lors du premier voyage, j'avais eu la chance d'être à la place de droite - celle du copilote - dans un petit bimoteur, ce qui me permit de jouir d'une vue exceptionnelle. Nous avions survolé l'est du Botswana, pays qui ne me disait pas grand-chose à l'époque, si ce n'était par l'existence du delta de l'Okavango. Prenant une carte en main, je découvris alors ce pays qui m'était totalement inconnu, la Namibie, à l'exception de sa légendaire Skeleton Coast. Plus jeune, un autre nom de cette contrée avait déjà attiré mon attention, le Kalahari, une zone particulièrement aride mais surtout la plus grande étendue de sable au monde. On devinera enfin sans peine, au vu de mes récents voyages, avec notamment la découverte du fabuleux désert d'Atacama au nord du Chili, ce qui me fit définitivement opter pour ce pays peu connu dont la surface fait une fois et demie la France. D'autant qu'il recèle le plus ancien désert de la planète, celui du Namib, son origine remontant à quatre-vingt millions d'années.

Me voilà donc en route pour une prochaine aventure, toute aussi riche, je n'en doute pas, que celles vécues en Asie centrale ou plus récemment, donc, vers le Chili, avec cette Patagonie qui est loin de m'avoir laissé indemne, comme j'ai largement tenté de le prouver au cours du long chapitre consacré à cette région dans mon dernier ouvrage.
Ukukubona !
("A bientôt", sauf erreur, en zoulou/khosa !)


vendredi 17 juillet 2015

Balbec

En cette fin de matinée, alors que je m'approchais de la plage, bordée par cette promenade aux balustres de ciment qui s'étirait paresseusement depuis plus d'un siècle le long de coquettes villas, je découvris la mer. Elle avait une teinte étrange mais non moins envoûtante, un jade clair, légèrement jaspé par endroits. Des mouettes plongeaient brutalement dans l'onde en quête de nourriture, perçant ce voile quasi immobile. De loin, les traces laissées faisaient songer à de grosses gouttes de pluie s'écrasant sur un sol détrempé lors d'un orage. Mais le ciel était clément, juste grisé, nuées vaporeuses qui laissaient augurer, avec le changement de marée, un bel azur pour le reste de la journée.

Balbec, le Cabourg de Marcel Proust, sans doute l'un des plus grand romanciers de la littérature mondiale (cf. Cerveau & Psycho, juillet-août 2015), cet écrivain déjà évoqué lors de précédents billets. Mes trajets en ce début de vacances allaient me conduire jusqu'à cette jolie station du Calvados. Je rêvais depuis longtemps de la découvrir à nouveau, fort de cette relecture d'A la recherche du temps perdu initiée il y a quelques mois avec autant de passion et d'émotion qu'un demi-siècle plus tôt.
Je voulais notamment me rendre à l'Hôtel de la Plage, devenu depuis Grand Hôtel, ce lieu mythique où l'écrivain se rendait chaque été en compagnie de sa grand-mère. Il y écrivit la plus grand partie de son oeuvre magistrale.

Ayant arpenté, lentement, dans le sens ouest-est la belle promenade, m'arrêtant de temps à autre sur des bancs de bois pour mieux me pénétrer de cette ambiance si particulière, pour mieux "m'immerger" dans ce fabuleux monde proustien, je finis par pousser la porte tambour qui permettait d'accéder au grand hall de l'hôtel. Ce fut comme si j'entrais dans un lieu familier, bien que l'émotion ne tardât pas à me gagner lorsque j'aperçus derrière les immenses portes vitrées les deux grandes salles du restaurant si fréquemment décrites.
Je m'assis dans un profond fauteuil de velours cramoisi, à l'un des coins de la vaste réception. De là, je pouvais savourer à loisir toute l'architecture, magnifiquement restaurée et conservée, esquisser un sourire devant le ballet silencieux du personnel, davantage encore en apercevant le responsable des lieux qui ne devait pas, quant à lui, écorcher les noms ou certaines expressions comme son prédécesseur du siècle dernier.
Immobile, mes yeux scrutaient les moindres détails, les gestes des garçons qui préparaient les tables pour le déjeuner, le sourire de la jeune hôtesse à l'accueil, les clients aussi qu'il suffisait d'habiller autrement pour les replacer dans l'époque, les visages ne devant être guère différents. Je me penchais enfin légèrement pour deviner la cage d'ascenseur, qui n'avait plus son liftier, me remémorant quelques savoureux souvenirs rapportés finement par l'auteur de Sodome et Gomorrhe.
 Enfin, je tâchais de retrouver, mais vainement, dans une adorable jeune fille qui aurait pu traverser le hall aux piliers majestueux, la fameuse, l'aimée puis redoutée Albertine, l'une de ces jeunes filles en fleurs, à jamais disparue...

Puis je quittai ces lieux magiques, me promettant d'y revenir le lendemain, en fin d'après-midi, pour y prendre un verre. Ce que je fis.

Au dehors, revenant sur mes pas le long d'une promenade partiellement inondée d'un soleil tout neuf, je tentai de retrouver ces jeunes filles en fleurs qui déjà, dans ma lointaine jeunesse, m'avaient tant fait rêver.

vendredi 3 juillet 2015

Québec, oh oui !

J'ai mis les pieds pour la première fois au Québec en 1998. J'allais terminer l'année en compagnie de ma fille aînée qui y passait une année d'études. Je savais ce pays froid, glacial même, mais à mon arrivée, pas ou si peu de neige. Mais le froid était bien là et c'est tout en haut du Mont Royal, à Montréal, que je subissais les températures les plus polaires que j'eusse jamais connues. Durant la nuit de la Saint-Sylvestre une impressionnante tempête de neige, du moins pour un européen de l'ouest, s'abattit sur la ville qui se retrouva à l'aube de l'année nouvelle, avec un magnifique ciel bleu, enfouie sous un épais manteau d'un blanc immaculé.

Cette fille aînée suscita des envies, et ma troisième fille décida elle aussi de partir faire une année d'études au pays des iroquois. C'est en plein hiver également que j'allai lui rendre visite. Puis j'y retournai quelques mois plus tard avec sa sœur cadette. A chaque occasion, j'en profitais pour découvrir plus en profondeur cette belle province : le parc du Mont-Tremblant, celui de la Mauricie, remontant le Chemin des Patriotes jusqu'à Sorel, le tout dans une campagne englacée et des cours d'eau intégralement gelés. Quelle beauté ! Bien sûr, je poussai à chaque fois jusqu'à la ville de Québec, que j'appréciais de plus en plus. Une grande petite ville, entourée de forêts et bordée par ce fleuve majestueux, le Saint-Laurent. J'admirai la vieille cité, en dépit d'un blizzard cinglant qui s'engouffrait dans les rues étroites et m'extasiai face à la chute Montmorency, entièrement gelée, plus haute que celles du Niagara, ce qu'on ignore généralement.

Les années passèrent, mais les expériences des plus âgées donnèrent des envies aux plus jeunes, En l'occurrence à ma quatrième fille qui, après deux séjours étudiant à l'Université Laval de Québec, se décida pour se lancer dans un doctorat au sein de cette même université qu'elle affectionne tout particulièrement. Qui sait d'ailleurs si ses neveux et nièces n'auront pas un jour envie de traverser à leur tour le grand océan pour perpétuer cette tradition ?

Je reviens d'un séjour de deux semaines chez elle, mais en été cette fois. Quelle différence ! Sans pour autant préférer l'une ou l'autre saison, si différentes, chacune ayant leur charme. En attendant bien sûr de découvrir lors d'un prochain voyage le fameux été indien.
Bien sûr, la neige avait disparu, et la végétation semblait s'en être donné à cœur joie, profitant de ces courtes semaines de répit pour devenir verdoyante, exubérante, magnifique. J'ose dire que j'ai une préférence pour cette ville au cachet si particulier, dont les "faubourgs" - ceux où réside ma fille,  Sainte Foy, - donnent l'impression de se retrouver à la campagne, à moins d'une demi-heure en bus du Vieux Québec. Même impression pour l'université située dans un incroyable écrin de verdure. Enfin, pour terminer cette première partie de billet, n'oublions pas de mentionner l'extrême gentillesse, l'amabilité et l'accueil si chaleureux de nos "cousins" !

Oui, Québec, la ville de Québec et ses alentours m'ont séduit, plus que je ne le pensais.

Suggestion de circuits

Aussi, à l'intention de ceux qu'un tel voyage - je parle ici de la période estivale - attirerait, le voyageur infatigable que je suis se permet de suggérer le parcours découverte suivant qui, sur une période de quinze jours, est tout à fait réalisable.
Une arrivée à Montréal est incontournable et, selon la durée du séjour, un minimum de deux jours sur place est indispensable. Prévoir ensuite la location d'une voiture, sachant que si la conduite est comme chez nous, la plupart des véhicules sont avec boîte automatique.
Pour gagner Québec, prendre la route sur la rive droite du fleuve (N° 20).
Les guides (style Michelin) sauront vous conseiller sur les sites incontournables à faire dans la ville de Québec, sans oublier la chute Montmorency, déjà citée (à faire d'en haut comme d'en bas). Une mention toute particulière pour la visite de la bourgade de Lévis, juste de l'autre côté du fleuve, à laquelle on accède en empruntant le traversier (vues inoubliables !).

La côte de Charlevoix "vaut le voyage", Elle est absolument splendide. De Québec à Tadoussac (route 138), vous passerez par Baie-Saint-Paul, de toute beauté, avec ses jolies maisons et ses grèves sauvages donnant sur le fleuve et où l'on peut pique-niquer. Poursuivre en découvrant les Éboulements, vestiges spectaculaires d'un cratère formé par la chute d'une météorite il y a très longtemps ainsi que par un violent tremblement de terre survenu au XVIIe siècle. Port-au-Persil, à deux kilomètres sur la droite après avoir quitté la route principale, un vrai petit bijou de la nature ! Poursuivre et s'arrêter au domaine Forget, une splendeur !
Etape possible à La Malbaie où je recommande chaleureusement l'Auberge de La Châtelaine, reprise par un couple de français il y a quelques mois. Cette demeure de la fin du XIXe siècle, donnant sur la baie, est décorée avec charme et les petits déjeuners maison sont somptueux et délicieux !

A Baie-Sainte-Catherine, prendre le bac (traversier) qui permet de franchir le fjord Saguenay pour rejoindre Tadoussac, puis suivre la route 172 pour rejoindre Chicoutimi/Saguenay, non sans faire un arrêt à Sainte-Rose-du-Nord. Envisager alors un tour du lac Saint-Jean par la 169 nord (belle promenade possible dans le Parc de la Ponte-Taillon) avec une étape conseillée au bel hôtel de la Boréalie à Saint-Félicien, en tâchant d'avoir une chambre de plain-pied donnant sur la rivière Ashuapmushuan. Retour à Québec, toujours par la 169 (devenue sud), en traversant les  grandioses Laurentides.

Une dernière suggestion, au départ de Québec, le tour de l'île d'Orléans (67 kms). En privilégiant la route sud, avec un arrêt incontournable à Sainte-Pétronille qui offre une vue exceptionnelle sur la ville de Québec et la séparation du Saint-Laurent en deux bras.

Espérant avoir convaincu le ou les voyageurs anonymes qui reviendront en Europe les yeux pleins de merveilles et l'esprit riche en souvenirs !

vendredi 5 juin 2015

Au fil de mes lectures...

Les livres ne cessent de m'entourer.
D'abord sur diverses tables en attendant d'être lus, puis à portée de main (il y en a au moins trois voire quatre) lorsqu'ils sont en cours de lecture, l'un d'eux me suivant partout lors de mes déplacements dans la grande ville. Ils finiront par rejoindre les rayonnages déjà bien remplis de mes bibliothèques. Mais il y a toujours non loin un crayon ou un stylo pour noter, souligner quelques phrases, passages que je ne souhaite pas oublier et qu'il m'arrive soit de relire par la suite, soit d'aller rechercher lors de la lecture d'un ouvrage ultérieur sur le même sujet, soit enfin, ce qui n'est pas sans engendrer quelque surprise, de comparer ces annotations à celles plus anciennes quand il m'arrive de relire des livres déjà lus plusieurs années auparavant. C'est ainsi le cas actuellement de ceux de Michel Foucault et de Marcel Proust dont j'ai entamé la relecture de A la recherche du temps perdu près d'un demi-siècle plus tard !
Aussi, au hasard de mes lectures en cours, j'ai relevé ces trois extraits :

- "Notre cerveau dispose d'une extraordinaire plasticité qui rend de nouveaux apprentissages possibles quasiment sans limite."  Yvanne Wiart, Cerveau Psycho, juin 2015.

- ""S'étonner, apprendre, prendre conscience". Les trois mots-clés du voyageur authentique, les trois consignes qu'Annette Laming-Emperaire observe sans fléchir."  Philippe Grenier dans sa magnifique anthologie des récits de voyage en Patagonie  Histoires du boute du monde,  Editions Nevicata, 2013.

- "Il est remarquable de constater que nous sommes capable de raconter l'histoire de l'Univers depuis des milliards d'années, mais tout cela ne signifie évidemment pas que l'Univers aurait été créé il y a un peu plus de 13 milliards d'années. Nous savons simplement que l'Univers a connu un moment où la densité et la température étaient si élevées que les lois physiques que nous connaissons ne permettent pas de comprendre ce qui s'est passé. Laissons à nos successeurs le soin de remonter encore plus loin dans le passé, si tant est que cela soit possible et ait un sens." André Brahic, Bradford Smith, Terres d'ailleurs, Odile Jacob, avril 2015. André Brahic est le découvreur des anneaux de Neptune.


Appendre, découvrir, s'enthousiasmer, transmettre...

samedi 2 mai 2015

Passé recomposé.

"Sur les plages de l'histoire les vagues de souvenirs anciens ont dessiné des arabesques d'argent où se reflètent les mirages de l'avenir."

Il est des voyages qui s'apparentent à des remontées dans le temps. Celui que je viens d'accomplir est de ceux-ci, sans pour autant qu'il m'ait été besoin de partir loin... sauf en nombre d'années, un demi-siècle !
Il y a longtemps que je désirais remettre le pied sur cette île de l'Atlantique, Oléron. En 1954, mes parents nous y emmenèrent en vacances, ma sœur et moi, probablement conseillés en ce sens par nos nos nouveaux voisins, ceux qui logeaient juste au-dessus de l'appartement parisien dont nous avions pris possession à peine deux ans plus tôt. Le Logis des Dunes, dans le petit bourg de Domino au nord-ouest de l'île, à quelques centaines de la plage et de ses dunes sauvages, nous accueillit deux étés durant. Puis nous nous rapprochâmes de ces voisins qui possédaient une antique et typique demeure, sans trop de confort, dans le tout petit village de Chaucre situé à deux kilomètres. Là, des années durant, en été, comme aux vacances de Pâques, nous revînmes souvent. Là, des souvenirs - et quels souvenirs ! - vinrent se constituer, s'accumuler, s'engranger dans ma petite tête de gamin qui n'avait pas encore dix ans.

Ils étaient donc là ces souvenirs empilés, plutôt bien rangés, certains encore vivaces, d'autres ne nécessitant que le petit coup de pouce, la madeleine proustienne (le hasard d'ailleurs faisant qu'au même moment j'avais entrepris de relire l'oeuvre du grand écrivain qui m'avait déjà tant enchanté dès mes dix-sept ans), pour être réactivés. Je retrouvai ainsi sans difficulté cette "Maison Pantalon", si photographiée depuis et dont les multiples clichés ont fait le tour du monde, ayant même la chance de la retrouver habitée en cette période de vacances par le fils de nos voisins qui me reconnut aussitôt. Mais aussi le Logis des Dunes, hélas en totale décrépitude, délabré et tagué, toujours tristement debout. Enfin, ces plages immenses, bordées de dunes sur lesquelles j'aimais tant grimper puis, une fois le sommet atteint, me jeter dans le vide - de quelques mètre seulement ! -, face à l'océan aux teintes inégalées. Parcourir aussi, tel un trappeur, ces forêts de pins et de taillis de chênes verts, montant aux arbres, imaginant et vivant plein d'aventures. Arpentant sous un soleil généreux, tandis que la mer se retirait, ces plages sans fin, j'avais l'impression ô combien étrange que la grève blonde qui se découvrait peu à peu laissait progressivement émerger tous ces riches et lointains souvenirs.
En fin de journée, l'émotion gagna un cran lorsque, grâce à ce voisin ami à qui j'en évoquai le souvenir que je croyais pourtant à jamais enfoui, je pus retrouver cette femme qui, cinquante ans plus tôt, avait été sollicitée par ma mère. Elle lui avait proposé de venir s'installer chez nous, comme "nounou" dirions-nous aujourd'hui, car notre jeune frère allait naître. Elle resta dans l'appartement plus de deux ans. Elle s'appelait Madeleine. Elle me reconnut sans trop de difficulté, tout comme moi. Elle avait gardé son joli visage malgré ses rides. Elle allait fêter avant l'été ses quatre-vingts ans...

Oui, quelle remontée dans le temps. Qui sait, peut-être, matière à écrire un petit récit, où je reprendrais également ceux, non moins riches, de mes longs séjours chez ma grand-mère paternelle dans le petit village du Châble, au pied du Salève, à deux pas de Genève ? Si Oléron me donna sans doute le goût, l'amour immodéré du sable, des dunes, des futurs déserts, Le Châble me rendit amoureux à tout jamais de la roche, de la montagne. Probablement faut-il trouver dans ces deux endroits magiques les deux creusets fondamentaux qui me firent partir des dizaines d'années plus tard vers les étendues désolées mais ô combien fascinantes d'Asie centrale et, plus récemment, de cet inoubliable pays des extrêmes, le Chili.

"Sur les plages de l'histoire, les vagues de souvenirs anciens..."


lundi 6 avril 2015

Des Neurones enchantés à L'Art de la fugue.

Voilà un titre bien étrange, j'en conviens, mais on sait également que l'on peut s'attendre à tout venant du signataire !

Un récent article paru dans Cerveau Psycho, magazine bimestriel particulièrement intéressant, porte à ma connaissance un livre, j'ai presque envie d'écrire une "partition à six mains", paru chez Odile Jacob et dont le titre constitue la première partie de ce billet. Plusieurs indices ont contribué à attirer mon attention. Le mot neurone bien sûr, suite aux nombreux cours de Stanislas Dehaene souvent évoqués sur ce blog. Le sous-titre du livre également Le cerveau et la musique, quand on peut savoir à quel point la musique fait partie de ma vie, et ce depuis l'âge de mes dix ans lorsque l'on m'offrit pour Noël mon premier électrophone accompagné d'un microsillon, Le carnaval des animaux de Saint-Saens, qui fut suivi de dizaines et de dizaines d'autres, achetés, offerts ou provenant d'une discothèque municipale. La musique m'est indispensable et sans elle j'aurais l'impression que le monde est bancal, dénué de sens, privé d'émotion, terne.
Les auteurs également, principalement l'un d'eux, dont j'avais déjà lu beaucoup d'ouvrages, certes complexes (mais auxquels je finis par m'accoutumer, reliant entre eux les différents enseignements puis finissant par les acquérir), Jean-Pierre Changeux, éminent neurobiologiste, professeur honoraire au Collège de France et qui fut le maître de Stanislas Dehaene. Puis Pierre Boulez, quatre-vingt dix ans depuis peu, chef d'orchestre, compositeur, fondateur de l'Ircam, et qui a occupé lui aussi une chaire au Collège de France. Philippe Manoury enfin, compositeur et professeur émérite de l'Université de Californie à San Diego.

Inutile de dire que ce livre m'a fort intéressé, même si je dois reconnaître que ma méconnaissance totale de la technique musicale et de termes comme harmonie, hauteur de notes, intervalles, accords et tant d'autres plus ou moins savants m'ont empêché de tout saisir des propos des deux musiciens. J'ai également été très attiré par la notion de genèse d'une oeuvre artistique, qu'elle soit musicale, du domaine de la peinture et surtout, alors que je viens tout juste de terminer mon livre, de celui de la littérature. La première page de ce livre est d'ailleurs remplie d'annotations et de renvois. J'en citerai quelques uns :
- Le cerveau est constamment actif, même au repos.
- Le travail du créateur, ce "bricolage" d'objets mentaux anticipant la réalisation de l'oeuvre.
- On ne fait rien d'autre que de puiser dans sa mémoire.
- Ce moment initial de l'invention est celui qui demeure sauvage, imprévu. (Pierre Boulez)

Quant à L'Art d la fugue ? Si ma mère nous habitua très tôt à appréhender ce grand compositeur, elle qui d'ailleurs participa à de nombreuses chorales notamment à Chaillot, je dois avouer que je ne pus saisir la grandeur incomparable de son oeuvre qu'au début de mon âge adulte. Mieux. Ce fut au travers du génial Glenn Gould que je fus capable d'en savourer enfin toute l'immensité. J'écoute régulièrement les Variations Goldberg, ainsi que d'autres pièces pour piano et suis en mesure de reconnaître presque à coup sûr le pianiste canadien. J'avais, dans le passé, été fort intrigué par un film passé sur Arte et traitant des origines du temps et dont les acteurs principaux tenaient les rôles de Stephen Hawking, Roger Penrose, ainsi que ceux de Penzias et Wilson qui furent à l'origine de la découverte du fond diffus cosmologique. Au début, Penrose nous fait écouter L'Art de la fugue, dont le dernier morceau s'arrête net, ce qui intrigua et intrigue encore beaucoup de monde.
Curieusement, le livre dont je viens de parler débute avec une évocation de cette oeuvre inachevée. Je n'ai pas tarder à me la procurer, et depuis deux jours, je ne cesse de l'écouter, tout en écrivant ou en lisant. Je ressens une véritable jouissance au niveau de mes neurones !

lundi 30 mars 2015

Le temps d'écrire ; un temps pour écrire.

Débuté en décembre 2014, le nouveau livre que j'écris actuellement - et qui sera le septième depuis 2010, qui aurait pu imaginer cela au départ ! - touche à sa fin. Je vais en entamer le dernier chapitre, celui consacré à Rapa Nui, autrement dit l'île de Pâques.
Pour être tout à fait franc, je l'avais commencé avant le départ, en octobre, comme cela m'arrive souvent de le faire lorsque je m'apprête à faire un nouveau voyage. En effet, un fois arrivé sur place, je risque, presque à coup sûr, de ne plus être capable de me souvenir de la façon dont j'imaginais le pays "avant", c'est-à-dire tel que je me le représentais, le rêvais, l'idéalisais même. Il importait donc que je laisse une trace préalable de ma représentation du Chili, tout comme de de l'île de Pâques, avant que l'un comme l'autre ne soient définitivement recouverts par les images réelles.

Durant tous ces mois j'ai donc passé beaucoup de temps à écrire. Le jour - jusqu'à six heures d'affilée ! - parfois la nuit, lors d'insomnies qui me faisaient nettement comprendre qu'il était temps que j'aille chercher mon ordinateur pour retranscrire sur l'écran toutes ces phrases que je composais mentalement et que je risquais de ne plus retrouver à l'identique le lendemain matin. Ce qui ne faisait d'ailleurs que me confirmer une fois de plus l'immense capacité d'activité inconsciente de notre cerveau.
Ce temps d'écrire m'empêchait donc de consacrer du temps pour écrire, pour écrire ces billets qui, depuis plus de sept mois désormais, viennent alimenter ce blog. Certes, je ne suis pas resté muet pendant toute cette période, mais ces dernières semaines, davantage accroché, captivé par l'écriture de ce livre en devenir, je suis conscient d'une certaine "absence" !

Mais il faut aussi avouer combien cette phase de création est exaltante à plus d'un titre. Combien est fort, puissant, magnétique ai-je envie de dire, ce moment où je m'assois enfin à ma table ! Combien est étonnante, stupéfiante cette conjugaison de l'activité mentale, celle de mon cerveau, et celle, purement physique, mécanique de mes doigts qui frappent sur les touches, engendrant ces phrases qui viennent se former presque toutes seules sur l'écran ! Je ne cesse, et ne cesserai jamais d'être en admiration devant ce processus de création, de génération, comme s'il existait, perception toute récente, deux individus, lui et son double, l'un simple acteur, l'exécutant, l'autre, à la fois invisible mais indispensable, à l'origine du texte, de sa composition en phrases, en paragraphes, maître de sa musique, de son rythme, rendant le tout parfaitement et magnifiquement cohérent.

On pourra donc comprendre que je ne puisse parvenir à me libérer de cette folle passion qui m'étreint, craignant trop de perdre le fil du récit qui se construit, s'élabore au fur et à mesure. D'autant qu'une fois que je cesse d'écrire, souvent épuisé mais pleinement heureux, la tête fiévreuse, il ne m'est plus guère possible de venir composer, comme ici cette nuit, un autre texte.
Pourtant, comme pour me faire mentir, force est de constater que ce petit billet nocturne est quand même parvenu à voir le jour. Je n'en suis que plus heureux, humblement, vis à vis de mon (ou mes) lecteurs anonymes !


samedi 14 février 2015

Jouissance cérébrale et intellectuelle

Sans doute quelques journées, pas forcément ensoleillées, sur le belles pentes neigeuses d'une jolie station savoyarde, ont-elles contribué à aérer, décongestionner mes neurones et autres liaisons synaptiques !

Le fait est que depuis mon retour vers la capitale, j'ai vécu de bons, riches et intenses moments.
Il y eut d'abord cette conférence du CNAM à Paris, que j'avais loupée, mais que je ne voulais à aucun prix manquer et que j'ai pu voir en vidéo sur le site de cette vénérable institution. Je n'en connaissais pas l'intervenant, mais le sujet qu'il abordait, les univers multiples ou multivers, me passionnait depuis longtemps. Très à l'aise dans la façon de s'exprimer, Aurélien Barrau, jeune quadragénaire au cheveux longs, est professeur à l'université Joseph Fourrier de Grenoble et chercheur au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie au CNRS. J'eus rapidement la grande satisfaction de constater que vingt années de lectures, conférences, cours au Collège de France sur ces deux piliers de la physique contemporaine que sont la cosmologie et la physique quantique, avaient porté leurs fruits et que je n'étais pas si perdu que cela dans ces domaines malgré tout assez complexes. La verve et l'élocution brillante d'Aurélien Barrau, largement partagées par l'auditoire, eurent quelques points forts qui me comblèrent à l'image de deux suivants que je vais évoquer brièvement.

D'abord, il nous est impossible de voir notre Univers au-delà d'une certaine distance, cette limite étant de nature physique et non pas technique. Intervient là la notion d'horizon cosmologique. De la même manière que l'on regarde l'horizon sur une plage, il nous est possible de voir plus loin si l'on se hisse sur le mat d'un bateau, ou si l'on monte au sommet d'une montagne qui borderait cette mer. Mais on aura beau monter encore plus haut, il y aura un moment où, quoi que l'on fasse, on ne pourra voir au-delà de la courbure de la terre. Comme le conférencier le faisait judicieusement remarquer, même avec la meilleure longue vue, et si haut soit-on sur la côte atlantique, on ne verra jamais le Cap Horn ! Le raisonnement est identique pour l'horizon cosmologique et la distance la plus éloignée que nos plus puissants télescopes permettent de "voir" est de dix milliards d'année-lumière (faites le calcul en prenant la vitesse de la lumière en kilomètres par seconde, ça fait beaucoup !) Comme l'écrit l'auteur dans son livre "Des univers multiples" publié chez Dunod en 2014, "L'Univers est extraordinairement grand ! Il est absolument gigantesque (...) Il est donc vraisemblablement beaucoup, beaucoup plus grand que ce qui est observable. Mais est-il infini pour autant ? Ce n'est pas acquis..."

Changeons d'échelle et intéressons-nous brièvement à la notion du fameux Big Bang. Que de fois n'ai-je pas été interpellé sous la forme de cette question : "Mais qu'y avait-il avant le Big Bang ?" Presque -trop même- naïvement, je répondais que cette question n'avait aucun sens, laissant mon interlocuteur sur sa faim, me demandant même s'il ne doutait pas des connaissances que j'avais acquisses depuis des années ! Mais lorsque Aurélien Barrau évoqua devant l'assistance cette même interrogation, sa réponse fut identique. Mieux, il en donna une image que je suis heureux de reproduire ici même et qui devrait clore ce stérile débat. Imaginez, disait-il, un explorateur qui arrive au pôle Nord et à qui l'on pose la question : "Mais qu'y a-t-il au nord du pôle Nord ?" Cette question vous en conviendrez, n'a aucun sens et est du même ordre que celle concernant l'avant du Big Bang.

Autre moment fort de la semaine, le cours de Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de psychologie expérimentale au Collège de France et dont je suis les cours avec passion depuis plusieurs années. Le thème du cours de cette année est Fondements cognitifs des apprentissages scolaires. En tant que père et grand-père, j'ai déjà recommandé à mes filles déjà mamans de regarder tout ou partie des premiers cours, tant les capacités intellectuelles (langage comme calcul) de nos jeunes bambins sont extraordinaires !
Mais celui de cette semaine traitait d'un sujet qui m'est cher, et depuis très longtemps, le sommeil ! Pour parler de façon familière, je "buvais du petit lait" ! Cela fait en effet plus de quarante ans que je mets à profit le sommeil pour retenir, mémoriser de façon durable (attention, je ne dis pas apprendre), des faits ou des choses acquises durant la journée, à commencer par les nombreuses langues étrangères grâce à l'excellente méthode Assimil. Plus récemment, avant de m'endormir, je me suis mis à balayer rapidement les notions, informations, mots peu usuels, etc. acquis au cours de la journée. Ceux-ci se retrouvaient dès le lendemain fixés définitivement dans mon cerveau et je pouvais les "rappeler" à tout moment. Terminons par cette récente constatation. Il n'est pas rare désormais que lors de mon endormissement, puis au cours du sommeil proprement dit, je me mette à composer, rédiger mentalement, avec toute la syntaxe et le vocabulaire, les phrases qui viendront ensuite remplir les pages de mes livres de voyage. Combien de fois n'ai-je pas été surpris, subjugué même, par le fait qu'il suffisait que je me mette durant la journée face à l'écran de mon petit pc, pour voir mes doigts frapper les touches du clavier et le texte se former, s'écrire là, devant mes yeux ébahis.

Pour terminer, mes journées étant également pas mal consacrées à la lecture, cette semaine me révéla deux choses, sans doute un pur concours de circonstances. J'ai débuté en effet un  nouvel ouvrage d'Aristote, intitulé Traité du ciel. Il est du plus étonnant de voir, comme je l'ai déjà écrit dans un précédent billet, combien la pensée de cet homme était en avance sur son temps, et combien la lecture en parallèle des deux livres, celui d'Aristote et celui d'Aurélien Barrau, est troublante.
L'autre ouvrage est la suite du premier, (re)lu avec toujours autant de passion et de bonheur qu'il y a cinquante ans. Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Je ne résiste donc pas, pour terminer ce long billet, de reproduire ces quelques lignes absolument magnifiques, trouvant une fois de plus que l'on peut s'intéresser à plusieurs domaines pourtant très variés, de concert, ce qui est une des formidables capacités de notre cerveau d'Homo sapiens sapiens !

(L'auteur, chez les Swann, attendant dans un petit salon pourvu d'une cheminée, l'arrivée de ses hôtes)
"...et recevaient frileusement la chaleur d'un feu incandescent de charbon, précieusement posé derrière une vitrine de cristal, dans une cuve de marbre blanc où il faisait écrouler de temps à autre ses dangereux rubis."

vendredi 6 février 2015

Un mois déjà !

Et même un peu plus ! 

Un blog doit être alimenté et je conviens que le mien ne l'a pas été pendant une longue période.
Hormis les événements tragiques de début janvier, peu propices à s'exprimer, tant d'autres l'ayant abondamment fait, et au sujet desquels je ne saurai convenablement m'exprimer, deux faits majeurs, du moins pour moi, ont ralenti le rythme de production de mes billets, à savoir deux livres.

Le récit de voyage que j'avais écrit suite ma découverte du Turkménistan en avril 2014 a enfin vu le jour et le moins que l'on puisse dire est que sa couverture en a surpris plus d'un ! Mieux, les libraires parisiens qui acceptent de prendre mes livres en dépôt sont restés souvent sans voix face à la surprenante photo pleine page d' Etrange et déconcertant Turkménistan. Davantage lorsque je leur en donnais l'explication.
Le second livre est celui que je suis en train d'écrire et qui relate cet autre voyage, non moins extraordinaire, partagé avec quelques amis à qui j'avais proposé de découvrir, du nord au sud, le Chili, avec une extension pour ceux qui le désiraient vers Rapa Nui, plus connu sous le nom de l'Île de Pâques. Trois semaines incluant le désert aride d'Atacama, la région des lacs et l'île de Chiloé, la plus que troublante Patagonie, à laquelle je ne cesse, aujourd'hui encore, de rêver. Enfin, Santiago et surtout Valparaiso, avec un souvenir ému pour la Isla Negra, la dernière demeure de Pablo Neruda.

Voilà pourquoi le temps me manque ! Cette rédaction m'exalte, comme toujours, et les phrases ne cessent de se construire dans mon esprit, de jour comme de nuit, avant qu'elles ne viennent se matérialiser sur le petit écran de mon ordinateur. Je viens à peine de terminer le long chapitre sur San Pedro de Atacama, c'est dire. Il me reste encore beaucoup de chemin avant d'atteindre les rivages de l'île aux moais... 
Mais j'espère que d'ici là, j'aurais eu le plaisir de revenir ici même pour un nouveau billet dont le thème m'est pour l'heure totalement inconnu.
Mais, comme l'écrivait jadis André Maurois (qui en fit également le titre d'un recueil de nouvelles), Toujours l'inattendu arrive


samedi 3 janvier 2015

"À l'homme qui aimait les femmes"....

... mai aussi le cinéma.
Lorsque fleurirent il y a quelques mois aux portes des boutiques parisiennes mais aussi, en plus grande taille, sur les kiosques à journaux de la capitale, les affiches annonçant l'exposition sur François Truffaut à la Cinémathèque française, je souris aussitôt, mais n'envisageai pourtant pas de m'y rendre.

Ma rencontre avec le cinéaste remontre à très tôt, à mes années de lycée. Je tombai aussitôt sous le charme de ses films qui me firent vibrer intérieurement, me troublant profondément tant je trouvais de coïncidences entre les pensées, sentiments, désirs, penchants littéraires du jeune metteur en scène et les miens. Le fait qu'il ait vécu dans le même quartier que celui de mon enfance et de ma jeunesse (le IXème arrondissement ;  ah ! ce fameux Gaumont Palace, place de Clichy ), qu'il y ait tourné de nombreux films augmenta même cette sorte de complicité (certes à sens unique).
Je pense avoir vu aujourd'hui la quasi totalité de ses films, et certains, comme La nuit américaine plus d'une dizaine de fois. J'évitai cependant ceux plus tristes, plus graves et tragiques, voire angoissants, car s'approchant trop de la mort, comme L'amour en fuite, La chambre verte ou La femme d'à côté. Curieusement je fus moins sensible au Dernier métro, pourtant auréolé de gloire. J'adorai, on s'en doute, Fahrenheit 451 ainsi que celui qui fait le titre de ce billet.
Dans mes bibliothèques il y a au bas mot plus de dix ouvrages de lui, dont celui sur Hitchcock, celui de sa Correspondance. Mais également sur lui, ses films, livres souvent offerts par mes filles ou des proches qui connaissaient ma passion illimitée pour Truffaut. Et quand on arpente le couloir de mon appartement, on peut y découvrir d'un mur à l'autre des images de lui et de son double, Antoine Doinel, alias Jean-Pierre Léaud. Enfin, on sourira en apprenant que ma dernière fille s'appelle Laura...
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Oui, François Truffaut a fait partie de ma vie intime des années durant, au point de devenir une sorte de démiurge. Il m'a fasciné, et me fascine encore, m'a souvent profondément troublé au point qu'aujourd'hui, plus de trente ans après sa mort, la même année que Michel Foucault, j'appréhende de voir certains de ses films, d'écouter les musiques composées par George Delerue, Maurice Jaubert, Bernard Hermann (qui fut aussi le compositeur de nombreux films de Hitch). Une intense nostalgie m'envahit alors, peut-être le souvenir d'années de jeunesse révolues, la peur aussi d'être saisi par une émotion trop forte en revoyant des images puissantes, magnifiques, idéalisées.
Voilà pourquoi j'avais décidé de ne pas visiter cette exposition.

Ma fille aînée m'en parla la première, me poussant à m'y rendre, mais comprit mes réticences. Un peu plus tard, sa soeur cadette, qui avait baigné durant son enfance dans ces tourbillons truffaldiens au point d'avoir choisi le thème principal de La nuit américaine pour son mariage, sortant de l'exposition, m'engagea plus fermement à m'y rendre. Ce que je fis, en définitive, craignant de regretter plus tard de ne point y être allé.
Oui, je le reconnais, cette exposition est magnifique et mérite absolument d'être vue. Pourtant, ce que j'avais crains s'est réalisé ! La nostalgie ressentie fut si forte, l'émotion si grande que, dès l'entrée dans la première salle, je ne pus retenir mes larmes. Tout au long de ma visite, où je retrouvai cette complicité avec le cinéaste, les yeux embués mais qui me permettaient malgré tout de reconnaître les classiques Garnier de ma jeunesse (Balzac !!) et de re-découvir, mais en vrai cette fois, les nombreuses missives, plans de travail, brouillons pour des projets de titres, etc. que j'avais déjà vus au travers des livres bien rangés dans mes rayonnages, j'avançai d'un pas mesuré, les yeux souvent baissés, sauf pour regarder sur les murs des extraits de films, un mouchoir à la main...

François Truffaut, cet homme qui aimait les femmes, cet homme qui fit dire à Charles Denner dans le film éponyme cette phrase sublime et que j'aimerai mettre un jour en exergue d'un de mes livres :
"Les jambes des femmes sont comme des compas qui arpentent le globe terrestre en tout sens, lui donnant son équilibre et son harmonie".