vendredi 17 juillet 2015

Balbec

En cette fin de matinée, alors que je m'approchais de la plage, bordée par cette promenade aux balustres de ciment qui s'étirait paresseusement depuis plus d'un siècle le long de coquettes villas, je découvris la mer. Elle avait une teinte étrange mais non moins envoûtante, un jade clair, légèrement jaspé par endroits. Des mouettes plongeaient brutalement dans l'onde en quête de nourriture, perçant ce voile quasi immobile. De loin, les traces laissées faisaient songer à de grosses gouttes de pluie s'écrasant sur un sol détrempé lors d'un orage. Mais le ciel était clément, juste grisé, nuées vaporeuses qui laissaient augurer, avec le changement de marée, un bel azur pour le reste de la journée.

Balbec, le Cabourg de Marcel Proust, sans doute l'un des plus grand romanciers de la littérature mondiale (cf. Cerveau & Psycho, juillet-août 2015), cet écrivain déjà évoqué lors de précédents billets. Mes trajets en ce début de vacances allaient me conduire jusqu'à cette jolie station du Calvados. Je rêvais depuis longtemps de la découvrir à nouveau, fort de cette relecture d'A la recherche du temps perdu initiée il y a quelques mois avec autant de passion et d'émotion qu'un demi-siècle plus tôt.
Je voulais notamment me rendre à l'Hôtel de la Plage, devenu depuis Grand Hôtel, ce lieu mythique où l'écrivain se rendait chaque été en compagnie de sa grand-mère. Il y écrivit la plus grand partie de son oeuvre magistrale.

Ayant arpenté, lentement, dans le sens ouest-est la belle promenade, m'arrêtant de temps à autre sur des bancs de bois pour mieux me pénétrer de cette ambiance si particulière, pour mieux "m'immerger" dans ce fabuleux monde proustien, je finis par pousser la porte tambour qui permettait d'accéder au grand hall de l'hôtel. Ce fut comme si j'entrais dans un lieu familier, bien que l'émotion ne tardât pas à me gagner lorsque j'aperçus derrière les immenses portes vitrées les deux grandes salles du restaurant si fréquemment décrites.
Je m'assis dans un profond fauteuil de velours cramoisi, à l'un des coins de la vaste réception. De là, je pouvais savourer à loisir toute l'architecture, magnifiquement restaurée et conservée, esquisser un sourire devant le ballet silencieux du personnel, davantage encore en apercevant le responsable des lieux qui ne devait pas, quant à lui, écorcher les noms ou certaines expressions comme son prédécesseur du siècle dernier.
Immobile, mes yeux scrutaient les moindres détails, les gestes des garçons qui préparaient les tables pour le déjeuner, le sourire de la jeune hôtesse à l'accueil, les clients aussi qu'il suffisait d'habiller autrement pour les replacer dans l'époque, les visages ne devant être guère différents. Je me penchais enfin légèrement pour deviner la cage d'ascenseur, qui n'avait plus son liftier, me remémorant quelques savoureux souvenirs rapportés finement par l'auteur de Sodome et Gomorrhe.
 Enfin, je tâchais de retrouver, mais vainement, dans une adorable jeune fille qui aurait pu traverser le hall aux piliers majestueux, la fameuse, l'aimée puis redoutée Albertine, l'une de ces jeunes filles en fleurs, à jamais disparue...

Puis je quittai ces lieux magiques, me promettant d'y revenir le lendemain, en fin d'après-midi, pour y prendre un verre. Ce que je fis.

Au dehors, revenant sur mes pas le long d'une promenade partiellement inondée d'un soleil tout neuf, je tentai de retrouver ces jeunes filles en fleurs qui déjà, dans ma lointaine jeunesse, m'avaient tant fait rêver.

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