lundi 8 décembre 2014

Addendum au billet précédent

Addendum, ou le heureux hasard des lectures conjointes.

Au cours de mon voyage au Chili, j'ai eu l'occasion de visiter, non loin de Valparaiso, une des plus belles maisons, située en bord de mer, de l'écrivain chilien Pablo Neruda, prix Nobel de littérature en 1971, la Isla Negra. Je fus aussitôt saisi par le charme étrange de cette habitation, mi demeure, mi bateau, emplie d'objets hétéroclites que le poète avait ramené des endroits les plus divers. Le texte de l'audioguide qui m'avait été remis attira mon attention presque instantanément par sa qualité, ce qui n'est guère le cas en général. Je suivis pas à pas les différentes descriptions des pièces et progressivement s'installa en moi une curieuse sensation, comme si le propriétaire des lieux, dont on avait rapporté puis mis les cendres dans la jolie tombe face au Pacifique, m'interpellait directement et personnellement au travers de mes pas silencieux et des objets qu'il offrait à mes regards curieux et admiratifs.

Depuis le début du voyage, je n'avais cessé de m'interroger sur le plan, la charpente comme j'aime ainsi à l'appeler, que je comptais adopter pour le livre que j'envisageais d'écrire suite à ce voyage. Il se devait d'être différent des précédents, d'abord parce que les pays décrits dans mes autres récits étaient différents, mais aussi parce que je désirais marquer une rupture, les deux continents, leurs populations, leurs coutumes, leurs histoires n'ayant rien en commun. J'arrivais bientôt au terme de ce long voyage, et je n'avais toujours aucune inspiration.

Soudain, dans l'une des dernières pièces que je visitai, écoutant presque religieusement le commentaire en français de l'audioguide, j'eus une révélation. En fait, ce fut lui, le poète, qui me la délivra, me l'offrit comme un présent suite à ma visite muette mais dont les accents, les chants intérieurs, exaltés, devaient être perceptibles à travers le temps. Je me souviens même avoir dit presque à haute voix " Oui, c'est cela, oui, c'est clair, je l'ai trouvée ma charpente, cette idée originale qui fera que mon livre sera différent !" Et, tout de go, je remerciais le grand poète dont je n'avais encore lu aucun des livres.


Ce matin, dans le métro parisien, je poursuivais la lecture de l'autobiographie de Pablo Neruda que je m'étais promis de me procurer dès mon retour en France, J'avoue que j'ai vécu. J'en étais déjà rendu au tiers du livre en quelques jours, tant le récit de ses pérégrinations à travers le monde (dont je connaissais pas mal des pays qu'il avait traversés) me captivait. Et je tombais sur ce commentaire à propos de Marcel Proust, plus précisément Du côté de chez Swann. Je venais de lire la veille ou l'avant-veille le texte dont il parlait et   relevais ces deux extraits que je trouvais tellement en phase avec les propos tenus dans le billet précédent :
"Du côte de chez Swann me fit revivre les tourments, les amours et les jalousies de mon adolescence. Et je compris que dans cette phrase de la sonate de Vinteuil, phrase musicale que Proust qualifie d'aérienne et odorante, non seulement on savoure la description la plus exquise du son passionnant mais aussi une mesure désespérée de la passion". 
Puis quelques lignes plus bas, encore plus étonnant :
"L'attrait que j'avais éprouvé n'avait été que littéraire. Proust, le plus grand poète du réel, dans sa chronique lucide d'une société à l'agonie qu'il avait aimée et détestée...".

Il ne m'en fallait pas davantage pour entendre l'écho, celui que le poète endormi pour l'éternité dans ce pays qui m'avait tant fasciné, me renvoyait par delà les ans. Ce ne pouvait être un pur hasard. Le Chili de Neruda, mais aussi de Coloane, et d'autres à venir sans doute, était définitivement entré au panthéon de mes pays favoris, à ce jour d'Asie centrale pour la plupart, et lui aussi ne me laissait pas indemne. 

samedi 6 décembre 2014

1965-2014, 49 ans...

Il y a quelques semaines, Paul Veyne, dont j'avais tant apprécié l'autobiographe, me donnait envie de relire L'éducation sentimentale de Flaubert. J'avais déjà lu la majeure partie de cet "hénaurme "écrivain et cette invite tombait à point, ne sachant quels ouvrages emporter avec moi au cours de ce prochain voyage vers les terres lointaines d'Amérique du sud. Il y aurait de longues heures d'avion et de toute façon, comme depuis toujours, il était inconcevable que je n'aie à portée de main au moins deux livres. J'ajoutai donc ce roman à une liste déjà longue d'objets à emporter .

Mais il m'en fallait trouver un second, minimum indispensable, d'autant que ceux que j'étais en train de lire allaient être terminés avant mon départ. J'avais en outre une petite idée pour un troisième que j'achèterais sur place à Santiago. Ce que je fis, aidé de notre guide, me procurant dans une élégante librairie du centre ville le très beau livre de Francisco Coloane, riche et envoûtant auteur découvert peu de temps auparavant, Tierra del Fuego, que je désirais débuter sur place, et en espagnol.

Quitte à reprendre des livres déjà lus, ce qui était loin de me rebuter, au contraire, - j'avais entrepris de relire depuis quelque temps tous les cours au Collège de France de Michel Foucault - mon choix se porta sur le premier et gros volume paru dans la collection du Livre de Poche de A la recherche du temps perdu. Ils se trouvaient tous sur le dernier niveau supérieur de l'une de mes nombreuses bibliothèques et semblaient me faire régulièrement un clin d'oeil avec leurs tranches jaunies. Ils avaient survécu par bonheur, comme d'autres,  à mes nombreux déménagements et je comptais bien "un jour" les reprendre en main.

Marcel Proust. Quel vieux souvenir ! Il faut remonter à mes années de lycée, à Condorcet, dans les années 1960. Je n'étais pas hélas un brillant élève, malgré mes efforts, mais déjà, outre les langues et la géographie, je m'étais plongé dans la lecture depuis quelques années,  poussé en ce sens par ma chère mère Alma, comme je l'ai raconté dans un manuscrit autobiographique non encore publié (mais que je compte bien éditer un jour, aidé de ma précieuse collaboratrice Solène !). Ne reculant devant aucun effort, puisant même, comme par contradiction, dans les auteurs réputés les plus difficiles d'accès, je décidai de m'aventurer dans les souvenirs de ce grand écrivain dont un jour tout s'illumina grâce à une fameuse madeleine.

Je tombai immédiatement sous le charme de ce style si fécond, si riche en détails, en descriptions dignes de celles d'un entomologiste, où l'auteur se remémorait le moindre souvenir. J'aimais l'accompagner dans son Combray, m'émerveiller devant les paysages qu'il décrivait à la manière d'un peintre ou d'un enlumineur. Je me délectais dans les croquis minutieux qu'il faisait des personnages qui l'entouraient. Bref, j'eus aussitôt un coup de foudre et me mis à lire sans discontinuer tous les autres tomes de cette Recherche. Ceci se passait en 1965, il y a donc aujourd'hui quarante neuf ans !

Cette fructueuse et enrichissante lecture me valut une anecdote que l'on retrouve dans ce manuscrit non publié. Je n'avais pas été capable, contrairement à mes copains de lycée, mais aussi à ma soeur de deux ans ma cadette, d'obtenir mon baccalauréat, pas plus à la sessions de juin qu'à celle de septembre ! Je vis donc l'un d'eux qui m'était cher, Patrice ce V., arriver un jour au sortir de son cours de français, dépité, lui qui était déjà en Maths Sup., et me dire avec désolation que leur professeur venait de leur donner un travail à faire pour dans huit jours sur... Proust et sa Recherche du temps perdu ! Il ignorait ma passion et mon engouement pour le grand écrivain. Je lui proposai aussitôt de traiter ce travail, qui m'enchantait, et lui remis "son" devoir la veille du jour prévu. Personne ne sut, à part lui et moi, qui en avait été l'auteur, mais je fus particulièrement flatté de la note qui lui fut attribuée !

Aujourd'hui j'ai déjà relu plus de la moitié du premier tome, Du côté de chez Swann. Le plaisir n'a pas varié d'un cran ; il a même augmenté dirai-je. Je ressens un plaisir immense, je me délecte, je m'enthousiasme toujours autant devant ce style unique, fécond, exubérant, foisonnant de détails, témoin d'une vie au début du XXe siècle, juste avant le drame de la Première Guerre. Fin d'une époque, début d'une nouvelle. Pourtant, en me promenant dans les rues de Combray, en allant du côte de Guermantes, ou de celui de Méséglise, j'ai l'impression que rien n'a changé et que tous ces délicats parfums flottent encore dans l'air...