Mon père nous a
quittés il y a bien longtemps ; je n’avais que vingt-huit ans.
Né il y a plus
d’un siècle, ses parents l’avaient prénommé Émile, tout comme l’avait été son
oncle maternel, personnage pour le moins austère.
Si, enfant, je ne me suis pas vraiment posé de questions quant à son prénom – que je trouvais cependant quelque peu désuet à
le comparer avec ceux des pères de mes copains d’école –, je
m’interrogeai bien plus tard sur les raisons qui avaient poussé
mes grands-parents à l’appeler ainsi. Puisqu'il était natif du genevois français (j’entends par là l’étroite
bande de zone franche qui entourait la Suisse et donc le canton de Genève, au
pied du Mont Salève), je finis par faire un rapprochement avec le grand
philosophe Jean-Jacques Rousseau, auteur du fameux Émile. Les
souvenirs conservés dans ma mémoire de collégien et lycéen, des textes – pour certains révolutionnaires avant la
date – du grand érudit et non moins prolifique écrivain, expliquaient à mes yeux ce
prénom dont je me sentais de
plus en plus fier. Mais Jean-Jacques était encore loin de m’attirer,
craignant de ne voir dans
ses pages que de longues et peu
attirantes réflexions, théories, aventures romanesques et autres « confessions ».
Peut-être la Profession de foi du vicaire
savoyard aurait-elle pu m’attirer, le vocable « savoyard » ayant
été de tout temps un qualificatif positif pour le fils de haut-savoyard que j'étais !
Mais cet Émile ne cessait de m’interpeller. Plus
les années passaient, plus je devenais adulte et mûr, plus je me disais qu’il
me faudrait bien un jour acquérir cet ouvrage.
Il y a quelque
mois, me rendant dans ma librairie parisienne préférée du Quartier latin, j’accédai à l’étage des livres de poche
puis me dirigeai vers la lettre « R ». Quelle surprise !
Rousseau emplissait pas moins de deux rayonnages ! Il était donc
encore, en ce début du XXe siècle,
sacrément d’actualité ! L’Émile
n’y figurait pas, hélas ; on ne le trouvait qu’en édition de luxe, celle
de la Pléiade. Pour autant, et comme j’étais cette fois fermement décidé à
découvrir ce grand auteur, je ne baissai pas les bras et, quitte à entrer dans
l’univers du genevois, quoi de mieux que de débuter par ses Confessions (en deux tomes). Quelque sept cent quarante pages (outre les
abondantes notes) pour ces douze livres et un peu plus de trois mois pour tout
savourer ! Et quelle formidable révélation !
Il n’était pas une
journée ni une soirée sans que je me saisisse de l’ouvrage, entièrement
absorbé, captivé par ces lignes d’une franchise incroyable. Oui, une véritable
révélation où, non seulement les raisons qui avaient poussé mes aïeuls à prénommer ainsi leur
fils devinrent évidentes, mais aussi parce que d’un coup, ce père parti bien
trop tôt et qui m’avait tant manqué dans mon éducation d’homme puis de père en
devenir, prit subitement une toute autre dimension.
J’avoue humblement
que je ne m’attendais pas à une telle découverte, imaginant davantage, et bien
à tort, au travers de cette
figure du siècle des Lumières, un auteur hermétique, difficile à lire, fastidieux. Sans doute le
résultat d’un enseignement que je ne captai pas assez bien alors, ou que je ne compris pas faute de bases solides comme d’un esprit pas encore assez
ouvert.
Aujourd’hui, c’est
un gros volume de la Pléiade qui m’attend, incluant la totalité de l’Émile dans ses
différentes versions. Et il n’est pas improbable que dans les années à venir
d’autres écrits viennent s’ajouter à ces lectures (Rêveries du promeneur solitaire, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Du contrat social, par
exemple).
Ce
n’est pas la première fois que j’aborde la littérature (quelles qu’en soient
ses formes) dans ce blog. En
effet, certaines de mes lectures m’ont tellement captivé, passionné,
enrichi que je ne peux me résoudre à les garder pour moi seul. Le partage me
semble incontournable. Balzac,
Proust, Hérodote, Strabon, Platon,
pour ne citer qu’eux, apparaissent
ainsi au fil de mes billets. Aujourd’hui Rousseau. Il y en aura
d’autres, c’est évident !