lundi 6 février 2017

65°06’ sud 64°03’ ouest.


En cherchant bien, sur un planisphère (à condition qu’il descende assez bas !) ou alors sur une mappemonde, vous parviendrez sans doute à localiser, au moyen des coordonnées géographiques ci-dessus, l’île Pléneau…
Pléneau, du nom de l’un des membres de l’état-major du Français, bâtiment commandé par Jean-Baptiste Charcot qui entreprit une expédition vers le pôle sud en 1904-1905. Cette petite île est située à proximité du cercle polaire antarctique.

Après m’être approché en juin dernier du pôle nord, découvrant l’archipel du Svalbard, j’avais déjà décidé de me rapprocher de son opposé, durant l’été austral, sans toutefois en être aussi près, ce genre d’expédition étant en général exclusivement réservée aux scientifiques. Mais aborder la péninsule Antarctique me semblait être déjà une extraordinaire aventure.

Celle-ci est désormais à portée de main. Dans deux semaines, après de nombreuses heures d’avion, gagnant Buenos-Aires puis Ushuaia, la ville la plus extrême de l’hémisphère sud, je pourrai monter à bord du navire qui s’aventurera dans le périlleux et mouvementé Passage de Drake. Passé les Îles Shetland du sud, il dirigera alors son étrave vers la pointe nord de la péninsule, face à la mer de Weddell, longeant ensuite sur plusieurs milles la côte ouest jusqu’à cette île minuscule, le point austral le plus extrême que j’aurai pu atteindre.
Depuis Paris, pas moins de 14 300 kilomètres. Mais, depuis Pyramiden, cette ville fantôme du Svalbard située par 78°41’ nord, ma plus haute latitude, la distance est alors de 17 650 kilomètres…
Ces deux lieux extrêmes, qui matérialiseront les bornes de mon univers connu, seront les pivots du livre que j’ai entrepris d’écrire et dont la première partie, celle consacrée au Svalbard, est à présent achevée. Vais-je revenir aussi désemparé, perturbé, troublé ? Vais-je atteindre là aussi une limite à ne plus désirer franchir ? Je ne le sais encore. Mais, à lire les récits des grands explorateurs du début du XXème siècle, véritables aventuriers qui étaient loin de disposer du matériel et de l’équipement que nous possédons aujourd’hui, tous animés d’une volonté de fer et d’un véritable feu sacré, les Shackleton, Charcot, Nordenskjöld, Ross ou encore Amundsen, on ne peut que rester muet d’admiration devant leurs prouesses, leur inépuisable énergie, leur bravoure sans limite, eux qui jamais n’ont douté. Les quelques lignes ci-dessous, outre un hommage à leur mémoire, ont été pour moi une des raisons qui m’ont poussé à vouloir partir, d’une façon certes bien plus confortable, vers ces univers figés et englacés qui ne cessent de m’attirer et qui les ont tant attirés et fascinés eux aussi.

« De tous côtés des terres blanches, décolorées, coupées d’ombres fauves ; l’impression d’un fragment de lune tombée à la surface de l’océan, et dont le sommet émergeait. » (Otto Nordenskjöld,  Vingt-deux mois dans les glaces,  Paulsen, 2013, p.38)

« Un paysage étrange. Un sol déchiré de profondes crevasses ; au-dessus, des murs de rochers hérissés de tours et de gigantesques blocs qui ont l’air de sphinx préposés à la garde de cette solitude énigmatique. Nulle part trace de végétation, pas le moindre atome de terre ou de sable. Rien que des rochers arides et des nappes de cailloux agglomérés comme un macadam par le souffle puissant et inlassable des ouragans. » (Ibid. p.66)

« La nuit est splendide, calme et froide. (…) La lune brille, merveilleuse, et les étoiles se détachent comme des parcelles en fusion blanche et froide. Tout ce qui m’environne paraît un morceau détaché de l’astre même qui l’éclaire ; des glaces et de la mer, de la neige et des montagnes semble sortir cette lumière divine, irradiation mystérieuse, auréole pure et froide d’une région céleste. Et les icebergs et la mer, et les grandes montagnes et les rochers et la lune et les ombres elles-mêmes sont des divinités puissantes, larges, calmes, majestueuses dans le néant. » (J.B. Charcot, Le Français au Pôle Sud, Librairie José Corti, 2006, p.131)

« D’où vient donc l’étrange attirance de ces régions polaires ? (…) D’où vient le charme inouï de ces contrées pourtant désertes et terrifiantes ? Est-ce le plaisir de l’inconnu ? » (Ibid. p.294-5)


Trouverais-je là-bas, « en bas », les réponses à ces mêmes questions… ?



Une webcam, régulièrement mise à jour, existe à la station américaine Palmer, située légèrement plus au nord de l’île Pléneau. Elle donne un bon aperçu du paysage en temps réel.