On
le sait, et les lecteurs de mes billets ne l’ignorent pas, j’aime les
voyages !
Aussi, bien qu’ayant
fait il y a quelques mois à peine une exceptionnelle remontée de l’Amazone en
bateau depuis Manaus, comment résister à la proposition de ma dernière fille,
en poste depuis plus d’un an chez Disney à Orlando, de venir lui rendre visite
avant son prochain retour en France ! Oh, juste une semaine, le maximum de
congés qu’elle pouvait obtenir. Après m’avoir interrogé sur mes envies de
découvertes une fois sur place, elle m’organisa de main de maître (il est vrai
qu’elle possède une formation de base dans le tourisme) un circuit que je ne
pouvais passer sous silence, à l’image du billet que j’avais écrit il y a
quelques années et que j’avais intitulé « Gaspésie, oh oui ! »,
lequel rencontra un certain succès.
Elle
alla jusqu’à se charger de la prise des billets d’avion auprès d’une compagnie
scandinave dite « low-cost », une des rares qui faisait des vols
réguliers et directs vers Orlando. Rien à faire donc de mon côté, juste
imprimer les billets et cartes d’embarquement. Sauf que, le jour du départ, je
restai, tout comme les autres passagers, plus de sept heures dans la salle
d’embarquement à Roissy, le décollage ne cessant d’être régulièrement repoussé,
sans de vraies et bonnes raisons avec, comme apothéose, aux environs de vingt
et une heures, l’annulation du vol… et un retour chez moi en RER. Inutile
d’évoquer mon désarroi et l’effondrement de ma fille qui avait déjà récupéré la
voiture de location et réservé la première nuit d’hôtel.
La
nuit fut éprouvante, pour l’un comme pour l’autre. Mais au réveil, ma fille
aînée m’appela en me disant qu’il était impensable que je n’aille pas rejoindre
sa jeune sœur et qu’elle avait d’ailleurs déjà trouvé un vol aller-retour vers
Orlando, via… Reykjavík ! Je n’eus guère le temps d’épiloguer et il me
fallut sans tarder contacter la compagnie aérienne… qui me confirma en moins de
vingt minutes vols et billets pour les mêmes dates. Mon vol décollait de Roissy
en début d’après-midi. Je chargeai mon aînée de prévenir sa sœur en dépit d’un
décalage horaire de six heures.
« À
quelque chose malheur est bon », dit le proverbe. De la même façon que ma
croisière vers le détroit de Béring avait été annulée trois jours avant le
départ…, ce qui m’avait permis de partir vers le Pérou et la Bolivie il y a un
an (voir mon tout dernier ouvrage « Îles et Cimes » sur www.calamasol.fr), ce changement imprévu et imposé me
permit de faire une belle découverte, ce qui ne me serait pas arrivé la veille.
Cette étonnante révélation vint ainsi s’ajouter
à celles, récentes, de mes extrémités de la terre. En effet, après un premier
vol vers cette île du grand Nord, passant au-dessus des îles britanniques, le
second vol, bénéficiant une fois de plus d’un hublot par bâbord, me permit de
survoler, en plein jour donc, et sans aucun nuage, l’extrémité sud du
Groenland. Quel émerveillement, quelle splendeur, quelle émotion ! Je
connaissais désormais trois des terres les plus englacées de la planète, après
l’archipel du Svalbard et la péninsule Antarctique ! Quelle chance !
*
Arrivé
de nuit à Orlando, ma fille Laura m’attendait à la dépose minute de l’aéroport.
La toute première impression, après l’avoir bien sûr fortement serrée dans mes
bras, fut de ressentir cette lourde chaleur humide qui n’allait pas me quitter
de tout le séjour (sauf dans la voiture, les hôtels et bâtiments divers où la
climatisation marche à fond… au détriment de la couche d’ozone hélas…). Après
un parcours nocturne au sein de larges avenues éclairées, découvrant la façon
anarchique, pour le moins dangereuse et inconsidérée, dont les habitants de cet
état conduisaient (ma fille m’apprit que le Floride détenait le triste record
du plus grand nombre d’accidents mortels de circulation de tout le pays ;
à cet effet, elle ne souhaita pas que je conduise moi-même, et elle eut bien
raison), nous gagnâmes le joli hôtel (Palazzo Lakeside Hotel à Kissimmee) situé
au bord d’un petit lac – la Floride en est parsemée – où j’allais passer deux
nuits. Mais la faim me tenaillait, la compagnie aérienne que j’avais prise ne
délivrant que des repas… payants ! Le choix fut rapidement validé :
je voulais me régaler d’un véritable hamburger ! Je ne fus pas déçu. Ce fut
un gigantesque double cheese burger, accompagné de frites, que j’eus bien du
mal à terminer, l’ensemble accompagné d’une bonne bière bien fraîche. J’avais
malgré tout du mal à réaliser que j’étais enfin en Floride, état ainsi dénommé
par Ponce de Leon (en fait la Pascua
Florida, les « Pâques fleuries », en référence au dimanche des
Rameaux) lors de sa découverte en 1513. J’avais retrouvé ma fille, et j’allais
découvrir une nouvelle région du monde.
Notre
première journée, parfaitement organisée, voire presque minutée !, allait
me permettre, outre la découverte des lieux où ma fille résidait – de belles
bâtisses au milieu de vastes jardins arborés, dans le style Disney –, de
pénétrer dans ce parc dont je connaissais le nom depuis sa création en 1982,
Epcot. Qui n’a pas en mémoire cette grande sphère métallique, si moderne pour
l’époque, ou encore ce réseau de monorails qui sillonnent le site en tous
sens ? Malgré ses presque quarante ans, il me parut tout aussi moderne et
tourné vers le futur. J’aimai déambuler aux côtés de ma Laura au milieu de
cette foule bigarrée, vivante, gesticulante, souvent affublée d’ornements et de
colifichets, parfois à la limite du bon goût, reprenant les nombreux
personnages du dessinateur. Deux attractions – mais pas celles frissonnantes
que je ne supportais pas ! –
avaient été réservées, de façon à nous éviter une trop longue attente.
Je les appréciais. À nouveau au dehors, l’on se retrouvait presque suffocants
du fait de la chaleur humide qui nous enveloppait. Chapeau et lunettes de
soleil, tout comme la crème solaire, étaient absolument indispensables.
Ma
fille m’avait vanté depuis des mois le fameux festival international Food and
Wine du parc, où elle avait d’ailleurs officié. Il s’agissait de toute une
série de stands, voire de bâtiments entiers, dans le style architectural du
pays concerné, encerclant le lac principal, chacun proposant une variété de
mets et de boissons. Les portions étaient modestes, mais suffisantes pour en
apprécier les saveurs, ce qui permettait de pouvoir ainsi goûter à plusieurs
cultures. J’ai vraiment apprécié cette longue balade tranquille et gustative,
nous évertuant cependant à rechercher à chaque fois une ombre propice et
salutaire !
Après
au bas mot une bonne dizaine de kilomètres à pied, déambulant dans cette
ambiance pour le moins curieuse mais typiquement américaine, nous regagnâmes,
quelque peu fourbus, l’un des immenses parkings que nous avions eu soin de bien
identifier lors de notre arrivée. Puis, nous regagnâmes l’hôtel et sa jolie
prairie qui descendait en pente douche vers le lac immobile dans lequel se
reflétaient de jolis cumulus bien tranquilles. L’ouragan Dorian, qui avait
sagement délaissé la côte est de la péninsule depuis peu, était désormais loin.
Assis confortablement dans un fauteuil, j’observais de curieux échassiers au
long bec et dont la tête était par moitié rouge vermillon et blanche, le reste
du corps étant d’un gris élégant. Un livre à la main, mes yeux allaient
alternativement de la page en petits caractères au décor une fois de plus
improbable au sein duquel je me retrouvais.
Jour
2.
Cette
fois, l’Aventure avec un grand A allait véritablement commencer. Ma fille
m’avait interrogé sur mes envies de découvertes, me suggérant au passage
quelques lieux incontournables. Je lui avais fait part de mes souhaits, mais
chaque journée, je dois le reconnaître, eu son lot de surprises. Peu à peu,
force était de constater qu’après de nombreux autres voyages à travers le
monde, elle avait fini par acquérir un sens réel de l’organisation de ce genre
de périple. Pas une seule fois je n’eus à me préoccuper de rechercher un hôtel
pour la nuit, un lieu sympathique et original pour nos repas, sans parler des
excursions inattendues qu’elle me fit faire.
À
commencer par ces sources naturelles – les springs
– (il en existe beaucoup en Floride), situées à une petite heure de route au
nord d’Orlando. Au risque de surprendre le lecteur, tout comme je le fus tout
au long de ce voyage, j’ai trouvé la Floride étonnamment… verte ! Des
prairies, des champs, des bosquets et des bois, puis des forêts, épaisses, avec
de grands arbres, semblables aux nôtres (mais évidemment pas les mêmes
essences) et côtoyant en permanence de nombreuses variétés de palmiers. Que de
beautés ! Parachuté comme par magie dans un tel décor, bien malin qui eût
pu dire où il se retrouvait…
Ces
sources d’eau vive, limpide et transparente se nichaient au cœur de Kelly Park
et avaient pour nom Rock Springs. Nous étions partis d’assez bonne heure car le
nombre de places pour les véhicules était limité et c’eut été dommage de devoir
rebrousser chemin une fois rendus sur place. Mais Laura avait visé juste et,
une fois acquitté le modeste coût de stationnement, nous pûmes aller nous
changer dans les restrooms prévues à
cet effet. Cependant, avant de nous plonger dans l’eau cristalline, ma fille m’invita
à faire un tour de forêt, contournant l’un des nombreux bras de cette rivière
sauvage. Que de beautés naturelles ! Suivant un sentier dallé, j’admirais
en extase ces arbres majestueux, cette canopée extraordinaire qu’une lumière
fraîche et matinale inondait. Le silence était impressionnant et les rares
promeneurs que nous croisions paraissaient tout autant que nous absorbés par
cette nature luxuriante. C’est à peine si nous nous murmurions quelques mots lors de ces rencontres fortuites. Arrivés
au bout de notre périple, parvenus sur un pont au tablier proche de l’onde de
façon à empêcher les canoës en balade de pénétrer dans le parc, nous fûmes
obligés de faire demi-tour. Nous regagnâmes alors les jolies plages et les
escaliers de ciment qui allaient nous permettre de nous ébattre dans cette eau si
claire et comme surgie de nulle part.
Si
la perception d’une certaine fraîcheur fut réelle – l’air extérieur était déjà
proche des vingt-cinq degrés – il fallait être prudent car les marches, recouvertes
d’une mousse de couleur vert sombre, étaient passablement glissantes. Une fois
le pied posé sur le fond, la sensation était étrange car on avait l’impression
de marcher sur un sol moelleux comme un tapis dans lequel on s’enfonçait. Mais
cette sensation était loin d’être désagréable. Après quelque effort pour m’immerger
totalement, je m’en allai à contre-courant vers le petit pont que nous avions
emprunté peu auparavant. Le lit de la rivière étant plus haut je dus me courber
pour passer sous le tablier. Je remontai ensuite ce cours d’eau sauvage, bordé
de chaque côté d’épais massifs de fleurs et d’herbes de toutes sortes. Puis,
les grands arbres reprenaient le dessus et la forêt ses droits. Il me fallut
redoubler d’effort car les berges s’étaient rapprochées ce qui avait pour effet
d’augmenter la puissance de courant. Au loin, au détour d’un coude, je vis
arriver, s’esclaffant et dans des gerbes d’eau, une famille. Chacun se laissait
entraîner par le vif courant, assis, ou plutôt encastré, dans de grosses bouées
circulaires. Mais la lutte était inégale et, à mon tour, je dus me laisser
entraîner par l’onde et finis par rejoindre l’espace aménagé après avoir
emprunté un autre bras de la rivière. Je regagnai la berge où un banc
salutaire, à l’ombre de grands arbres, me permit de jouir d’un repos salutaire.
La
route, puis l’autoroute, pour gagner Tampa, ville située sur la côte occidentale
de la Floride et que nous allions contourner par l’est, représentait cent
trente kilomètres environ. Conduisant prudemment au vu de la façon sauvage dont
les autres véhicules se comportaient, il nous fallut au bas mot deux heures
trente pour commencer à apercevoir les premiers rivages de la baie de Tampa, et
encore dans le lointain, l’autoroute 75 en étant relativement éloignée. Laura
avait bien sûr sa petite idée, moi qui rêvais tant de voir enfin les côtes du
Golfe du Mexique. Elle s’était déjà rendue dans cet endroit idyllique, une île
aux plages de sable blanc à l’extrémité de la presqu’île de Bradenton, à
plusieurs reprises avec des amis, et elle savait combien j’allais adorer cet
endroit paradisiaque. Anna Maria semblait déjà en pleine mer et, après une
succession de ponts peu élevés au-dessus de lagunes où des bateaux souvent
luxueux étaient ancrés, circulant sur une route étroite bordée de maisons
magnifiques donnant directement sur la grève, au sein d’une végétation
tropicale à souhait, nous finîmes par nous garer dans le parking privé d’un
restaurant installé directement sur la plage. Et quelle plage ! Le soleil
était si vif, la lumière presque aveuglante, l’éclat du sable tellement blanc
qu’il m’était impossible d’ôter mes lunettes de soleil malgré l’ombre généreuse
autant qu’indispensable de larges parasols. Là, à quelques mètres à peine, une
plage d’une blancheur immaculée partait vers le nord comme vers le sud et se
terminait sur les eaux calmes et turquoise du Golfe. Quel décor de rêve !
Le repas que Laura suggéra, à base de fruits de mer et accompagné d’une grande
bière bien fraîche, ne fit qu’augmenter le plaisir intense que je ressentais
déjà de me retrouver en un tel endroit. Le bain que je ne manquai pas de prendre
un peu plus tard me stupéfia, tant la chaleur de l’eau, au moins trente degrés,
était élevée. Jamais, je crois, je ne me suis baigné dans une eau aussi chaude
et sans ressentir le moindre frisson. Une fois immergé, je ne fis même pas
l’effort de nager, juste me laisser flotter dans cette eau dont la température
rappelait celle d’une baignoire ! Il fallut hélas reprendre la route,
celle qui, reliant tout une série d’îles de toute beauté, où des ponts se
succédaient, nous conduirait jusqu’à Sarasota.
Cette
ville portuaire et moderne bordait une jolie baie particulièrement séduisante
au coucher du soleil. De nombreux oiseaux venaient s’y poser pour la nuit, y
compris ces pélicans que j’avais été tant surpris de voir le midi survoler les
flots tranquilles d’Anna Maria, et que je ne cesserai de voir à chaque fois que
nous serions sur une plage en progressant vers le sud. Nous ne manquâmes pas
bien sûr de passer par la boulangerie française C’est La Vie (1553 Main St.) et de bavarder un moment avec son
patron bien sympathique ! Enfin, nous parvînmes à notre bel hôtel,
judicieusement choisi et guère éloigné du centre-ville, le Carlisle Inn. Cette nouvelle journée se terminait et j’avais déjà
engrangé une belle quantité de souvenirs.
Jour
3.
C’était dimanche, mais pour autant ce n’était pas une
raison de se lever tard ! Le riche programme de ma fille me réservait
encore bien des surprises. Et elle comptait bien continuer à me faire profiter
de ces plages paradisiaques. Siesta Key allait être notre première étape de la
matinée, une plage réputée pour son sable d’une blancheur unique, incomparable,
composé à 99% de quartz en provenance des Appalaches et non d’origine corallienne.
Elle n’était pas très éloignée de notre hôtel et dix heures n’avait pas encore
sonné lorsque Laura se gara dans un parking proche de la plage et qu’elle avait
gardé en mémoire depuis son précédent passage. Ce charmant petit bourg me
rappela la Barbade et sa capitale Bridgetown que j’avais connue il y avait une
vingtaine d’années. Des maisons à un ou deux étages, aux toits de tôles, toutes
dans des teintes pastel, disséminées au sein d’une végétation luxuriante,
pleine de fleurs multicolores et de jolis palmiers. Des bars et des
restaurants, avec d’élégantes terrasses en bois généreusement ventilées par de
gros appareils munis de larges pales, servaient des petits déjeuners et parfois
même, malgré l’heure matinale, de grands verres de bière. L’ambiance était aux
vacances, l’air déjà chaud, l’ombre nécessaire. Heureusement, Laura avait pu se
faire prêter un parasol, ce qui n’allait pas être de trop une fois parvenus sur
la plage éblouissante de lumière où déjà des couples et des familles s’étaient
installés avec tout le nécessaire pour passer la journée.
Je ne me fis pas prier bien sûr pour aller me jeter à l’eau,
quoique le verbe « jeter » fût cette fois encore quelque peu
impropre. Comme la veille à Anna Maria, l’eau de Siesta Key était aussi chaude
que celle d’un bain tiré chez soi ! Il suffisait de s’avancer lentement et
de se laisser gagner par l’onde jusqu’au niveau du cou puis de se mettre à
faire des aller et retour parallèlement à la plage. Une ancienne jetée en
ciment dont on ne se servait plus depuis des lustres permettait aux pêcheurs du
dimanche de jeter leur ligne. Les prises n’étaient pas grosses – les dauphins,
dont j’aperçus quelques nageoires dorsales, ne s’aventuraient pas si
près ; quant aux fameux requins… je n’en vis aucun, heureusement ! –
et alimentaient surtout des mouettes gloutonnes et autres oiseaux marins.
Levant les yeux, je vis passer à quelques mètres au-dessus de moi un groupe de
quatre pélicans à la robe brune qui planaient avec une grande élégance. Pour
autant, l’endroit avait beau être idyllique je ne me serai pas vu y rester la
journée entière. En effet, tant vers le nord que vers le sud, la longue plage
s’enfuyait vers des infinis sans décor particulier qui puisse attirer les
regards. « L’ennui naquit un jour de l’uniformité » écrivait jadis le
poète…
Nous reprîmes la route, en partie côtière, longeant des
grèves que l’on devinait parfois sauvages. De petites dunes apparaissaient sur
lesquelles on avait planté des herbes semblables à des oyats. Mais, trop
souvent, les plages étaient masquées par de luxueux lotissements privés, quand
ce n’étaient pas, hélas, des immeubles de plusieurs étages. Peu après Venice,
la route s’infléchit légèrement vers l’est de façon à contourner une nouvelle
baie, passant ensuite par Port Charlotte, Punta Gorda et enfin Fort Myers.
Sanibel serait notre nouvelle étape.
Cette key – mot venant non pas de l’anglais mais étant
une adaptation du nom espagnol cayo/cayes qui désigne un îlot sableux –
terminait cette succession interrompue d’îles depuis Anna Maria. Au-delà des
Everglades, on n’en retrouverait qu’à la pointe de la Floride, dessinant un
grand arc, et dont l’extrémité occidentale était la ville bien connue de Key
West. Majoritairement privée, au vu de luxueuses propriétés donnant soit sur le
Golfe soit sur la lagune, on ne pouvait accéder aux plages de Sanibel Island
que moyennant le paiement d’un forfait journalier qui permettait de se garer et
donnait également accès aux toilettes et à des douches bienvenues, l’eau ici
étant particulièrement salée. De là, suivant un joli chemin balisé qui
traversait les dunes, on gagnait la plage que Laura avait choisie, tout aussi
blanche, aussi lumineuse, aussi écrasée de chaleur et de lumière que les
précédentes. Il me sembla même que l’eau y était encore plus chaude ! Je
ramenai de cette nouvelle journée une belle moisson de souvenirs et quantité de
photos à partager avec les miens au retour. Le Quinta Inn by Windham à Bonita
Springs serait notre nouvelle halte pour la nuit. Mais avant, en dépit de la
douche prise au sortir de la plage, je n’avais qu’une envie, celle de me
plonger dans l’eau claire et douce de la piscine de l’hôtel, avant d’aller nous
régaler un peu plus tard d’un nouveau bon dîner !
Jour
4.
Voir Naples et… ! Non, je plaisante bien sûr. Pourtant,
cette ville, je l’avais déjà repérée sur une carte une bonne quarantaine
d’année plus tôt. D’ailleurs, les États-Unis ne manquent pas de ces cités aux
noms à consonance européenne (en plus de ceux d’origine amérindienne). Elle
n’était guère éloignée de notre étape de la veille et marquait surtout à mes yeux la proximité avec le grand parc des
Everglades. Cette dénomination ne m’était pas inconnue et je savais à peu près le
situer sur la carte. Je n’ignorais pas non plus que pas mal d’animaux étranges
ou inhabituels y vivaient en toute liberté, notamment des alligators, appelés
caïmans en Amérique du sud. Créé en 1947 pour protéger un écosystème fragile,
ce parc couvre plus de six mille kilomètres carrés. Cependant, avant de l’atteindre,
quelque chose de tout à fait inédit m’attendait. La veille, j’avais bien vu ma
fille tapoter à plusieurs reprises sur son smartphone, me demandant de manière
subtile si j’étais capable de marcher sur une certaine distance et durant
combien de temps. Mais elle ne m’en avait pas dit davantage. Ce n’était pas
encore le parc en lui-même, mais ça y ressemblait fort. Depuis Bonita Springs,
nous parcourûmes en direction du nord-est une quinzaine de kilomètres jusqu’à
l’entrée du Corkscrew Swamp Sanctuary (Swamp
signifie marais en anglais), sorte de réserve naturelle appartenant à la
National Audubon Society (du nom de son fondateur). C’était bien la première
fois que je pénétrais dans un tel univers et ma fille avait vraiment fait un
bon choix. Il était encore tôt et nous étions probablement parmi les premiers
visiteurs de la journée. Là, durant près d’une heure trente, nous arpentâmes
cette réserve en tous sens, marchant sur une sorte de passerelle surélevée
faite de gros madriers et de planches disjointes, avec des rambardes du même
acabit qui permettaient de surplomber cet immense marécage qui n’était pas sans
me rappeler la forêt amazonienne que j’avais découverte, entre Manaus et
Tabatinga, début juillet. Nous n’aperçûmes aucun animal particulier, mais je
restai bouche bée devant ces arbres gigantesques, ces lianes démesurées, ces vastes
étendues de plantes aquatiques, de nénuphars et autres variétés de cette
végétation subtropicale. La chaleur, passablement humide, ne se faisait pas
encore trop sentir, mais l’ombre salutaire des hautes cimes nous protégeait des
rayons déjà ardents du soleil.
Nous reprîmes la voiture, nous dirigeant cette fois plein
sud vers l’entrée du fameux parc, un des
fleurons de cette belle Floride. Délaissant l’autoroute 75 qui menait
directement à Miami, distante d’un peu moins de deux cents kilomètres vers
l’est, nous empruntâmes la route 41, nettement plus modeste. Curieusement, et contrairement à bien d’autres
parcs américains, nous n’eûmes pas à franchir la moindre barrière, le moindre
poste pour pénétrer dans le parc et notre première halte, d’où l’on pouvait
ensuite rayonner aisément sur des pistes non asphaltées, avait pour nom Big
Cypress Swamp car on y trouve, outre une faune très diversifiée, une vaste
forêt de cyprès humides et de nombreuses mangroves. Ce fut là, enfin, que je
pus voir de tout près, mais toujours depuis nos passerelles protégées ou en
contrebas de la piste, de superbes alligators, alors que, malgré d’intenses
recherches deux mois plus tôt, je n’étais pas parvenu à apercevoir le moindre
caïman ! Comme nous avions pris un copieux petit déjeuner et que nous
avions toujours avec nous barres de céréales et fruits séchés, nous eûmes
largement le temps de parcourir, du moins en suivant les pistes, cette portion
de l’immense parc des Everglades. Bien sûr, en sortant de la voiture et avant
de poser le pied à terre, nous nous assurions qu’aucun prédateur, gros ou
petits (car il y a de nombreux serpents venimeux), ne se trouvait à
proximité ! Nous étions souvent les seuls et pouvions ainsi mieux savourer
cet environnement sauvage et surprenant à plus d’un titre.
La fin de la journée approchait et Laura, qui avait bien
sûr déjà réservé l’hôtel, nous emmena, via le route 29, jusqu’à Everglades City
où elle nous avait déniché un motel de qualité (l’Ivey House) au centre duquel,
bien abritée par une large moustiquaire tendue en guise de toit, se trouvait
une fort jolie piscine agrémentée de rochers et d’une jolie rocaille fleurie.
Le soir, nous nous dirigeâmes à pied, sous les immenses palmiers dont les
branches se paraient des teintes magnifiques du soleil couchant, vers le seul
restaurant ouvert en cette fin de saison. Une nouvelle aventure m’attendrait
dès le lendemain matin…
Jour
5.
Jamais à court d’idées donc, Laura qui, à mon sens,
devrait persévérer dans ce rôle de guide touristique, avait une fois encore
visé juste. Elle n’avait rien moins trouvé que de nous inscrire pour une virée
en vedette à moteur dans les eaux du Golfe, commençant d’abord par une balade
dans les mangroves qui longent toute cette côte jusqu’à la pointe sud de la
Floride. Pour le départ de dix heures, nous n’étions que sept dans ce beau
bateau propulsé par de deux puissants
moteurs hors-bord, plus le capitaine et son acolyte. Le début de cette excursion
enchanteresse se déroula à faible vitesse, suivant les balises rouge et verte
qui délimitaient un chenal invisible et nous évitaient surtout de rester
immobilisés sur un des nombreux hauts fonds sournois car invisibles. Sur des
îlots de sable, tout comme sur le sommet de certaines de ces balises, des
oiseaux s’étaient installés ou avaient même fait leurs nids. Aigrettes, hérons,
toutes sortes d’échassiers, pélicans, mouettes, autant d’oiseaux qui trouvaient
en ces vastes étendues marines un véritable paradis où la nourriture était riche,
variée et abondante. Dans le lointain, sur la ligne d’horizon, un petit îlet,
de faible hauteur, attira mes regards. On y distinguait une jolie plage de
sable blond. Je savais qu’au-delà c’en était fini de la terre et que le Golfe
du Mexique s’ouvrait, jusqu’aux côtes lointaines du Yucatán. Le ciel était sans
nuage. À l’abri du toit, en fait un second niveau que l’on atteignait par une
volée de marches, mais qui restait inaccessible au vu du faible nombre de
passagers, on se sentait bien avec cette brise bienfaitrice générée par la
faible allure de notre embarcation. Sensiblement, nous nous approchions de
cette île déserte. Ayant légèrement augmenté sa vitesse, le capitaine semblait
manifestement chercher quelque chose, sa tête comme ses regards allant
alternativement de gauche à droite. Soudain, il nous cria de regarder par
bâbord. Incrédules dans un premier temps, l’un de nous distingua un premier
aileron, puis un second. Oui, c’était bien cela, tout un cortège de dauphins était
venu nous accueillir et nous souhaiter la bienvenue ! Il y en avait bien
une demi-douzaine. Moi qui croyais que nous allions nous approcher de l’îlot,
voire le dépasser pour pénétrer pour de vrai dans le Golfe, je fus quelque peu
déçu lorsque le capitaine entama un demi-tour. Il lança ses moteurs à plein
régime. Mais pour quelle raison ? Je ne mis pas longtemps à comprendre
lorsque l’un des passagers resté à l’arrière poussa un cri de stupeur.
L’escouade d’intrépides et facétieux mammifères, dont certains dépassaient les
deux mètres de longueur, nous suivait à vive allure, bondissant au-dessus des
flots en d’élégants sauts. Ils nous offraient un spectacle unique et
magnifique. Élégant ballet que celui de ces dauphins entre mangroves et Golfe
du Mexique.
Une fois de retour au port, après cette virée d’une heure
trente que je ne serai pas prêt d’oublier, nous retrouvâmes la voiture et
entreprîmes de parcourir à nouveau cette zone sauvage, empruntant des pistes
que nous n’avions pas encore suivies. Nous vîmes d’autres alligators, tout
aussi gros, même si pour certains il fallait avoir le regard bien affûté tant
ils se fondaient dans la nature. Cependant, il fallait déjà songer au retour,
remonter vers Orlando. Laura, qui n’avait pas oublié mon envie récurrente de me
gorger de belles plages, eut une dernière idée. À l’approche de la côte, elle
dénicha une ultime station balnéaire, quasiment en pleine ville, mais dont les
rivages éclatants de blancheur étaient toujours aussi splendides et attirants.
La plage de Delnor Wiggins, proche de Bonita Springs, était, comme les
précédentes, toute en longueur mais un peu trop bordée à mon goût d’immeubles
de plusieurs étages. Qu’importe, cela ne gâcherait pas mon dernier bain,
toujours survolé par d’élégants
pélicans. Un avantage bien appréciable consistait en restrooms publiques, avec douches, ce dont nous profitâmes évidemment
car l’on songeait déjà à notre remontée et nous n’avions pas encore prévu ni
réservé d’hôtel. Après réflexion, Laura opta pour un retour direct vers le nord,
ayant fini par dénicher un dernier motel à Kissimmee, le Saesons Florida
Resort. Il n’y avait pas d’autoroute sur ce trajet mais les routes furent
belles et bien dégagées, avec peu de trafic. Je fus surpris plus d’une fois de
longer de grandes étendues cultivées où poussaient, bien alignés et séparés les
uns des autres, des arbustes aux feuilles d’un vert profond. Y regardant de
plus près, je découvris de superbes pamplemousses ! Rapide retour dans mon
enfance, à l’époque des anniversaires où ma mère et ses amies de jeunesse nous
régalaient de délicieux jus de pamplemousses… de Floride, contenus, à cette
époque, dans de grosses boîtes de conserve dont je n’ai pas oublié depuis ni
les couleurs ni les reproductions de ces fruits juteux et délicieux.
Une dernière surprise m’attendait à Orlando, et aucun
indice n’aurait pu me la laisser imaginer. Laura avait pris les devants dès
avant notre départ et bien malin qui aurait pu deviner cette heureuse soirée.
Quoique… On se souvient où ma fille avait décidé de travailler et il pouvait
donc paraître logique que si le premier jour fut consacré presque en totalité à
la visite d’Epcot, le dernier pouvait avoir son pendant. Disney Springs n’est
pas à proprement parler un parc d’attractions mais principalement un vaste
complexe mélangeant boutiques et restaurants de toutes sortes, le tout bien
évidemment dans un décor propre et typique à la magie Disney. Bien que ce fût
en semaine, et passé les vingt heures, ce parc était bondé. Une foule gaie et
vivante, couples, familles, jeunes, tous âges mêlés, déambulaient dans la joie
et la bonne humeur, souvent affublés de ces colifichets qui m’avaient tant
marqué le premier jour. Ma fille avait réservé une table au Rainforest Cafe,
étonnant décor surmonté d’un volcan qui grondait et crachait des flammes toutes
les vingt minutes ! Elle m’y « régala », selon son expression,
m’invitant pour cette ultime dîner. Le repas fut excellent, cela va sans dire,
et l’apéritif que nous partageâmes reste encore bien ancré dans ma mémoire.
Ainsi
se terminait un magnifique périple de plus de deux mille kilomètres. Je
n’aurais jamais imaginé un jour visiter la Floride, encore moins dans de telles
conditions. Cela valait bien ce récit qui, je l’espère, donnera envie à des
lecteurs anonymes de partir à leur tour.
Comme ce le fut pour d’autres, je n’en doute pas, qui ont pu s’en aller
à la découverte de la Gaspésie.
Quant
à Laura, je ne puis que l’encourager à poursuivre sur cette lancée !
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