Pour
d’obscures raisons, je n’avais pas été
convié, de même que quelques proches, au passage à l’état de cendres du corps
défunt de mon oncle Henri il y a quelques mois (voir billet du 29 novembre 2016).
Mais ce devait sans doute être ainsi.
Ce samedi 8 avril, tandis qu’un généreux
soleil envahissait un ciel uniformément bleu, je me retrouvai, avec ces quelques proches, à flanc
de colline, non loin d’Annecy, pour la dispersion de ces cendres, de ses
cendres, cérémonie intime et quelque peu émouvante qui était une première pour
moi. Mais l’émotion ne fut que de courte durée, tant le décor allait à
merveille avec ce qu’avait souhaité mon oncle, le même d’ailleurs où l’on avait
dispersé celles de son épouse près d’un quart de siècle auparavant. Mes
quelques larmes furent vite séchées par la brise printanière et je ne savais
que trop qu’Henri n’eut guère apprécié nous voir tristes en ces instants.
Lorsque la
personne en charge de l’opération se mit à balancer, tout en l’entrouvrant à
intervalles réguliers pour que le contenu se répande au gré de la douce brise,
le réceptacle qui me fit aussitôt penser à un encensoir, je fus surpris par la
légèreté de ces microscopiques particules. Celles-ci s’épandaient en un léger
et diaphane nuage, comme si chacune de ces infinitésimales particules
semblaient animées d’un mouvement qui leur était propre.
Particules ?
Aussitôt, mes pensées se mirent à songer au phénomène de l’intrication
quantique. Celui-ci suggère l’existence de corrélations entre deux objets qui
peuvent rester en relation, en « communication », même s’ils sont
séparés par une grande, voire très grande distance. Ainsi, j’imaginais quelque
peu naïvement que plusieurs de ces de ces grains quelconques de
« poussière de vie » pouvaient fort bien se répondre et s’identifier
où qu’ils pussent se trouver.
Ainsi, mon
imagination avait trouvé une façon quelque peu singulière de rendre mon cher
oncle vivant à tout jamais…
J’imaginais déjà
ces fragments minuscules entamant un balai surnaturel et invisible, non
seulement là où je me trouvais à l’instant même, mais aussi bien n’importe où sur terre, comme
une présence instantanée à la fois dans le temps et dans l’espace.
Dans l’après-midi,
je me rendis au sommet du Salève, cette montagne qui domine de ses mille quatre
cents mètres le village du Châble-Beaumont où naquit mon père au début du
siècle dernier et où j’ai sans doute acquis, et gravé, mes plus anciens et
magnifiques souvenirs. Cette montagne offre un double point de vue. Côté nord,
il domine non seulement le petit village mais aussi la large cuvette où l’on
peut admirer Genève et le lac Léman, les monts du Jura et imaginer, car enfoui
à cent mètres sous terre, le large cercle du LHC, le plus grand accélérateur-collisionneur
de particules au monde. Côté sud sud-est, si le temps le permet, et ce jour-là
les conditions étaient remarquables, toute la chaîne du Mont-Blanc, et même le
lac d’Annecy dans son écrin de montagnes. C’était absolument fabuleux. Plus je
montais par la route sinueuse au milieu de la forêt, plus je sentais l’émotion
me gagner, revivant les balades de mon enfance dans les sous-bois odorants.
Arrivé presque au sommet, je n’avais plus qu’une dizaine de minutes de marche
avant d’atteindre le Piton, cime que je n’avais pas gravie depuis plus de
cinquante ans. Comme lors de la découverte, un peu plus d’un mois auparavant,
des premiers rivages englacés de la péninsule Antarctique, tout comme souvent
dans des lieux tout aussi exceptionnels de beauté de par le monde, je sentis
des larmes me couler le long du visage. Pas des larmes de tristesse, oh
non !, mais de bonheur, de pur bonheur face à ces splendeurs de la nature.
Mais le plus
étrange, c’est que je crus sentir proches, tout proches, virevoltant autour de
moi, des grains de poussières invisibles, ceux que la brise avait emporté le
matin même dans les espaces bleutés du ciel de printemps de la Balme de
Sillingy. Mon oncle Henri était là, encore là, toujours là, et je savais qu’il
le serait à tout jamais.
Henri devenu
poussières de vie…
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