Été
1959. J’avais juste onze ans. Ma mère, notre mère, Alma, après une première
expérience pas trop réussie sur la côte cantabrique, non loin de Santander (la
mer n’était pas très chaude et assez agitée) décide de changer d’horizon, ou
plutôt de mer, et nous emmène tous les cinq, avec notre père qui allait
l’adorer, sur la Costa Brava, dans un petit village, en fait une petite crique
abritée, non loin de la bourgade de Palafrugell, Tamariù (dont le nom rappelle
évidemment le tamaris, arbre élégant qui orne encore aujourd’hui la jolie
promenade – désormais aménagée – qui donne sur la plage de sable blond). Mais
pourquoi avoir choisi cet endroit idyllique ? Il est hélas trop tard pour
le lui demander. Nous y avons passé des séjours inoubliables, emplis de
souvenirs les plus fous et parmi les plus riches de notre enfance puis de notre
jeunesse. Ma mère fit d’ailleurs des émules et quelques-unes de ses amies
d’enfance vinrent à leur tour y passer
les mois d’été. Je m’y fis un ami, le fils de nos voisins catalans, de La
Bisbal, qui venait y passer avec ses parents et grands-parents tous ses étés,
et qui continue à y venir les longs mois de printemps et d’été, voire de début
d’automne, avec sa femme, dans leur bel appartement à deux pas de la plage.
Toujours
est-il que près de soixante années plus tard, après y avoir emmené à mon tour
pour les vacances mes filles aînées, je me suis retrouvé à nouveau dans ce
petit paradis. Il n’a guère changé depuis, le manque de place entre les
falaises vermillon sur la gauche et gris acier sur la droite qui encadrent la
petite baie empêchant toute construction. Il faut juste porter le regard en
arrière, vers la forêt de pins et de chênes liège, pour découvrir quelques
nouveaux bâtiments, heureusement masqués par les arbres dont la plupart doivent
être aujourd’hui centenaires.
Et
voilà qu’à présent mes filles, marquées elles aussi par leurs séjours
d’enfance, viennent avec leur famille,
logeant dans les mêmes appartements que je louais jadis. Et je sens bien que
leurs enfants, à leur tour, sont peu à peu gagnés par ce virus estival,
reprenant les mêmes gestes, pêchant depuis le même petit débarcadère tandis que
le soleil déclinant embrase les roches escarpées, réclamant les mêmes glaces et
autres délices sucrés ! Et le père que je suis ne cesse de se remémorer
ses propres souvenirs, toujours aussi vifs et précis, prenant par la main l’un
ou l’autre (voire ensemble) de ces bambins ébahis et terriblement enjoués par
ces vacances si différentes.
Mais
je me dois cependant d’expliquer le titre un peu énigmatique de ce nouveau
billet. Les langues, on le sait, m’ont toujours attiré, et ce d’assez bonne
heure. Il n’en fallait pas plus, du haut de mes quinze ou seize ans, pour que
je m’intéresse à ce curieux idiome qu’est le catalan, assez apparenté au vieux
français, du moins à le lire. À l’époque, celle de Franco, il n’était utilisé
que par les autochtones qui s’en servaient pour communiquer. La langue
« officielle » restait évidemment l’espagnol que je possédais déjà
bien. Ayant eu l’occasion, parmi les nombreuses visites que notre mère
organisait – et cette curiosité insatiable m’a gagné à son tour ! –, de découvrir
le site roman de San Pere de Roda, celle-ci
dénicha dans une librairie de Palafrugell un livre en catalan intitulé L’Empordà, bressol de l’art romànic
(dont on devine plus ou moins le sens : L’Empordà berceau de l’art roman). Je ne vais pas m’étendre sur ce
nom d’ Empordà qui est celui de toute
cette région, depuis la frontière française jusqu’à la commune de Playa de Aro
située un peu plus au sud du port de Palamòs. On y distingue le Haut et le Bas Empordà, Palafrugell, et donc Tamariù,
faisant partie de ce dernier. Empordà
vient lui-même de la ville gréco-romaine d’Empuriès (ou Ampurias en espagnol),
dont l’étymologie évoque emporium,
signifiant « marchés, entrepôts ».
Je
me délectai donc de ce livre, surtout de cette langue chantante et qui
m’amusait, tant les consonances rappelaient le français. Il y eut ensuite une
longue, très longue période où je ne m’intéressai plus à cette prose. Jusqu’à
il y a quelques années où je découvris, sans doute par hasard, ou alors grâce
aux informations de mon vieil ami José et de sa femme Imma, qu’un auteur
fameux, traduit en français, était né à … Palafrugell ! Vite, je parvins à
me procurer à Paris son livre le plus connu, que je préférai toutefois lire
dans sa version traduite, Le Cahier Gris.
Il m’enchanta d’emblée car il traitait
de ses intarissables souvenirs de jeunesse dans cette région qui m’avait tant
charmé, et me charme toujours pleinement. J’ai, depuis, lu plus d’une
demi-douzaine de ses ouvrages, tous en catalan, dont un tome de ses mémoires lorsqu’il
fut envoyé comme journaliste à Paris, en 1921, année de naissance de ma
mère ! Ce grand écrivain va éclaircir à présent le titre de ce
billet : Josep Pla (1897-1981). Cet été, j’ai même entrepris un court
voyage dans l’arrière-pays pour identifier les lieux mentionnés tout au long
des propos retranscris dans son livre Dos
senyors où il évoque la vie de deux frères natifs des environs de Vic.
On
aura compris, je l’espère, la double intention de ce billet. Un hommage à cet auteur
fécond que je ne puis que recommander (dans ses traductions en français bien
sûr ! Mais pourquoi ne pas tenter la lecture dans la langue
originale ?) et dont je ressens à chaque fois un immense plaisir à lire la
prose vivante, riche, si précise au niveau du détail, souvent colorée, voire
même parfumée. Mais également une évocation de ce petit paradis bien caché,
tout au bout de la route sinueuse qui descend vers la mer, où elle débouche
quasiment sur la plage. Je ne doute pas qu’un jour mes petits-enfants y
emmèneront à leur tour leurs propres enfants !
Ah,
Alma, si tu pouvais imaginer !
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